Changement et crédibilité

Pour le directeur général délégué d'Ipsos, ce sont les deux mots clés de la prochaine élection. Brice Teinturier confirme que la course à l'Elysée se jouera entre les candidats qui sauront incarner le changement, tout en affirmant une crédibilité présidentielle. Analyse publiée dans la revue l'Hémicycle, que nous reproduisons.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
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La campagne électorale prend avec le mois de janvier une connotation différente. Le scrutin n’a plus lieu « l’an prochain », mais dans 120 jours. Il devient plus concret, plus tangible, tout comme le fait que tous les candidats sont déclarés, même si le vrai faux mystère de la candidature de Nicolas Sarkozy subsiste en ne trompant personne. Les attentes se précisent donc, tant à l’égard des leaders que des thèmes.

En terme de motivations déclarées du vote, les électeurs font part de 3 grandes critères dans le choix de leur candidat : «sa capacité à changer vraiment les choses » (64% de citations) ; « ses propositions ou idées » (60%) ; « sa capacité à faire face à la crise économique » (53%).

La « volonté de manifester votre mécontentement » arrive en 4ème position mais loin derrière (26% de citations). Cela s’explique d’une part par la gravité de la situation actuelle, qui densifie l’importance du vote, d’autre part et surtout, par le fait, et c’est un élément nouveau, que les électeurs du Front National ne font de cette dimension que le 3ème critère de leur choix de vote en faveur de Marine Le Pen. Le vote frontiste n’est plus aujourd’hui un vote de pure « politisation négative » mais d’affirmation d’une volonté de changement : 70% des électeurs de Marine Le Pen cite cette dimension dans leurs intentions. C’est la 1ère de leurs raisons et c’est le chiffre le plus élevé de tous les électorats. Vient ensuite « ses propositions ou idées » (56%) et la dimension protestataire, qui reste néanmoins un marqueur fort du lepénisme (49% de citations contre 26% en moyenne).

Le changement reste donc la première des motivations de vote, comme dans les grands scrutins de ces 30 dernières années, et ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour le Président sortant. De fait, les électeurs de Nicolas Sarkozy mettent comme 1ère motivation de leur vote sa capacité à faire face à la crise économique (84% de citations, soit 27% de plus que « sa capacité à changer vraiment les choses en France », citée par 57% seulement de ses électeurs).

En termes de controverses maintenant, deux grands éléments sont à noter : d’une part, la confirmation de la domination des enjeux économiques et sociaux sur les enjeux régaliens. L’insécurité et l’immigration, si prégnantes en 2002 et en 2007, ne font ainsi, en 2012, pas partie du « top 5 » des grands sujets de préoccupation. D’autre part, la forte dissociation entre enjeux perçus pour le pays ou pour soi-même. Dans le 1er cas, la crise économique, le chômage, les déficits publics, le pouvoir d’achat et les inégalités constituent, dans cet ordre, les grands sujets de préoccupation. Dans le second, la 1ère des préoccupations personnelles est le pouvoir d’achat, puis, mais loin derrière, les retraites, les impôts et les taxes, le système de santé, le chômage et les inégalités.

Cette hiérarchie n’est naturellement pas la même suivant les électorats : tout en mettant d’abord en avant la crise économique, les électeurs de François Hollande sont particulièrement sensibles à la question du chômage, du pouvoir d’achat, des retraites et des inégalités sociales. Les électeurs de Nicolas Sarkozy sont à l’inverse moins préoccupés par le chômage, le pouvoir d’achat (même si cela reste un enjeu fort chez eux) et les inégalités sociales et davantage que les autres électorats par la crise, l’immigration et l’insécurité. Enfin, les électeurs du Front National sont au carrefour de ces deux familles : l’immigration et l’insécurité sont des marqueurs essentiels chez eux mais le pouvoir d’achat et la thématique des impôts et des taxes également.

Quel que soit le candidat, la crise économique et les déficits ne peuvent donc être ignorés. Mais comme une trame de fond, un cadre éminent certes, mais qui ne doit pas occulter l’importance des autres dimensions : le chômage, bien évidemment, en pleine nouvelle ascension mais aussi, le pouvoir d’achat, les retraites, les inégalités ici, l’immigration et l’insécurité là.

Sur tous ces sujets, reste une question essentielle : l’importance et le poids de mesures précises par rapport à des engagements plus larges. L’opinion certes est toujours avide de « mesures concrètes » et celles-ci sont donc nécessaires. Mais nous ne sommes plus au temps des 110 puis des 30 propositions. D’une part, parce que les électeurs ont bien compris que l’instabilité et l’imprévisibilité du contexte international peut rapidement rendre une mesure caduque ; d’autre part parce qu’en 2007, le candidat Sarkozy en avait de nombreuses et que bien peu à leurs yeux ont été réalisées. Ils sont donc relativement vaccinés. Cela n’élimine pas la nécessité de mesures précises – et celles-ci doivent progressivement venir - mais rééquilibre leur nombre et leur importance : les grands engagements et le leader lui-même prennent progressivement une dimension accrue.

Définir le portrait robot du futur président souhaité n’est pas de ce point de vue chose aisée et, au-delà de la constance de certains grands critères (compétence, stature…), il y a à l’évidence des cycles. Pour 2012, la crédibilité est le critère majeur alors qu’en 2007, la demande de renouvèlement était intense. Le dynamisme semble également moins prégnant, comme si l’on recherchait davantage une stature, un cap et une forme de stabilité, peut-être plus constructives et rassurantes que l’hyper (re)activité. Mais la capacité à vouloir et incarner le changement est essentielle. Enfin, la sincérité d’une part, la capacité à comprendre les problèmes des gens d’autre part, sont devenus des facteurs clés. Il s’agit, de fait, d’une des déclinaisons de la crédibilité.

Dans ce paysage relativement identifié des attentes des Français, tant en termes de sujets, de mesures que de critères associés au futur Président, il reste deux points à avoir à l’esprit : l’actualité elle-même, qui peut à tout moment chambouler ce système d’opinion, et la question de la bourde. A tout moment, celle-ci peut apparaître et menacer même les plus rompus aux campagnes électorales. Cela fait aussi partie de l’imprévisibilité d’un scrutin.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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