Communication des marques : les conséquences de la crise

Les comportements des consommateurs sont en pleine mutation. L’avènement du smart shopping et le rôle accru joué par Internet sont autant de pratiques émergentes qui doivent pousser les marques à changer leur façon de communiquer. Isabelle Milgrom, directeur du département qualitatif d’Ipsos ASI France, nous livre ses recettes… exclusives.

Auteur(s)
  • Hélène Delpont Directrice Générale, Ipsos Connect
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Comment le poids de la crise se fait-il sentir dans votre quotidien d’études ? Que vous disent les consommateurs ?

Isabelle Milgrom : Quand on parle d’évolution du consommateur par rapport à la crise, je pense qu’il y a deux notions à séparer. D’un côté, l’évolution du consommateur et l’émergence de nouveaux comportements de consommation qui ont débuté avant la crise des subprimes. De l’autre, la crise que nous connaissons de façon aiguë depuis Septembre de l’an dernier. Pour parler d’évolution du consommateur et émergence de nouveaux comportements, je ne suis pas sûre qu’il faille employer le mot de « crise ». Je préfère parler de « mutation ». Il y a eu un phénomène de ciseaux qui a contribué à déclencher ce changement, à savoir la concomitance de l’hyper-choix et la baisse du pouvoir d’achat. D’une part, l’installation de l’hyper-choix a entraîné un brouillage des repères et une moindre lisibilité de l’offre avec trop de produits jusqu’à l’écœurement (« trop de tout » comme disaient les consommateurs dans les études qualitatives il y a 4 ou 5 ans). Cela croisé avec la baisse du pouvoir d’achat qui, par définition, entrave le désir de consommer. Ces deux phénomènes antagonistes ont fortement désorienté les consommateurs. C’est comme si on leur disait : « achète, consomme, regarde tous ces produits à disposition », et en même temps : « attention ! tu n’as pas les moyens ». Nous sommes dans un phénomène typique de double bind, d’injonctions paradoxales, ce qui amène soit à perdre la raison, soit à chercher d’autres portes de sorties.

L’émergence de nouveaux comportements de consommation

Comme lesquelles ?

I.M. : Le smart shopping est typiquement une de ces voies alternatives qu’ont trouvées les consommateurs pour réagir. Ainsi, le bonheur est moins dans le caddy de l’hypermarché mais plus quand on fait de bonnes affaires sur ebay ou dans un vide-greniers. La diffusion  massive des nouvelles technologies a également beaucoup aidé à la naissance des comportements de smart shopping. Le rôle des comparateurs de prix ou de sites de vente directe de type ebay ont formidablement accéléré cette évolution du comportement consommateur. Avec une conséquence majeure : tous ces nouveaux circuits de consommation proposent une économie réhumanisée puisque derrière ebay ou les trocs en ligne, ce sont des gens qui commercent entre eux. La crise n’a fait que donner raison à ce smart consumer et accélérer les changements de comportement déjà enclenchés : ainsi le « less is more » ou le fait d’être locavore, des comportements réservés jusqu’ici à l’élite bobo, sont désormais adoptés par le grand public par nécessité mais aussi par choix.

Quelle place tient Internet dans ces nouveaux comportements ?

I.M. : Au-delà du simple achat en ligne, les nouvelles technologies jouent un rôle fondamental pour permettre à l’individu acteur de donner de la voix et de passer d’un statut de sujet consommant à celui de sujet actif. Les consommateurs peuvent ainsi échanger sur les marques et les produits ; ils aiment d’ailleurs en parler, louer les produits qu’ils apprécient, dénoncer les arnaques. Ils créent un espace de discours totalement inédit alors que jusqu’alors il n’y avait que le discours « officiel » des marques. Ils ne se détournent pas de la consommation mais la vivent autrement et surtout à leur façon.

Observatoires du discours des consommateurs

Cela implique-t-il pour les marques de changer leur façon de communiquer ?

I.M. : Une marque qui continuerait à communiquer vis-à-vis de son consommateur comme si nous étions encore  à l’ère de la consommation enchantée s’expose à être perçue comme dépassée et à perdre de sa légitimité ! Je crois que la première chose que doit faire une marque, c’est d’écouter ses consommateurs. Vous me direz que toutes les marques écoutent leurs consommateurs ; c’est d’ailleurs à cela que servent les études. Mais il s’agit souvent d’une écoute sélective et ultra-ciblée ; elles écoutent ce qui les intéressent et se focalisent bien naturellement sur ce qui se rapportent à elles ou à ce qu’elles testent. Je crois beaucoup à une écoute large et neutre qui puisse permettre de véritablement prendre conscience des changements que traversent les consommateurs. C’est de là que sortent de nouveaux insights qui sont la base d’une nouvelle communication publicitaire.

Prenez Mc Donalds par exemple. Mc Donalds est une société qui innove constamment par de nouvelles offres afin de contrecarrer sa réputation de « malbouffe ».Par ailleurs, l’enseigne a proposé une campagne de publicité étonnante l’an dernier : « Venez comme vous êtes ». Dans cette campagne, le consommateur est dépeint dans toutes ses identités et dans toute sa complexité. Il s’agit du même personnage dans tous ses rôles, dans toutes ses vies possibles.
Ce que nous dit Mc Donalds, c’est « nous savons que vous êtes complexes, multiples et que vous êtes vous. Nous l’intégrons totalement et nous nous mettons au service de toutes vos vies. »
Voici un exemple de discours nouveau qui tient compte du consommateur de 2009 et qui peut servir de support et de chambre d’amplification à de très nombreuses innovations produit

Comment vous y prenez-vous pour accompagner vos clients et faire évoluer leur discours ?

I.M. : Nous mettons tout d’abord en place des observatoires du discours composés de forums de discussion Internet et de  groupes « confrontatifs ». Pendant une semaine, les consommateurs échangent via un forum dédié sur différentes thématiques que nous injectons jours après jour. Nous sélectionnons les participants les plus impliqués et qui aiment à débattre et à argumenter et nous les faisons se rencontrer lors de groupes « confrontatifs » où plusieurs attitudes et points de vue s’expriment pour fournir un débat riche et argumenté. Á partir de cette phase préliminaire d’exploration,  l’agence conseil en communication développe des big ideas. Nous testons alors ces concepts de communication, ce qui permet d’évaluer la stratégie de communication sans avoir besoin de développer du matériel créatif et donc de valider que cette dernière est à même de remplir ses objectifs.

Une méthodologie exclusive

Comment faites-vous pour  tester une stratégie de communication auprès de  consommateurs sans développer la publicité ? N’est-ce pas un peu artificiel de séparer les deux aspects ?

I.M. : On peut faire le parallèle avec l’innovation produit. Avant de développer un produit prêt à être vendu, nos clients testent des concepts. Or les consommateurs ne voient jamais un concept en rayon mais, en proposant une forme adaptée et les bons outils d’étude, nous arrivons à appréhender ce que vaut un produit au travers de son expression conceptuelle. Ici, c’est la même chose. On va développer une big idea sous une forme « digeste » pour le consommateur. Il s’agit en général d’une idée écrite intégrant un insight de communication et une résolution de cet insight par la marque. Elle peut être complétée (si nécessaire mais pas systématiquement) par des images qui sont une expression visuelle de l’identité mais qui, en aucun cas, ne peut être utilisée comme une exécution. La phase de conception du matériel est extrêmement délicate. Un mot mal utilisé et l’idée peut tomber à l’eau. C’est pour cela que nous procédons à une première exploration qualitative de type itératif permettant de modifier l’idée en cours de test. Cette première phase qualitative nous permet de finaliser le plus possible chaque big idea. Puis après l’exploration et l’optimisation, vient le temps du test. Nous testons ces idées quantitativement et qualitativement afin d’en évaluer le potentiel avec une méthodologie exclusive où nous creusons  quasiment en temps réel en qualitatif les résultats quantitatifs. Á ce stade, il s’agit vraiment de savoir si la stratégie de communication proposée par la marque est opérante ou pas et si la big idea proposée délivre la stratégie. Ainsi, nous travaillons très peu sur des dimensions telles que l’agrément car cela aura un sens sur l’exécution publicitaire de l’idée mais pas sur l’idée.

Et vos clients, comment réagissent-ils face à ce nouveau type d’études dans lesquelles vous testez de grandes idées publicitaires ?

I.M. : Leur accueil est enthousiaste car tester des big ideas avant tout test d’exécution présente trois avantages clé. Premièrement, c’est un avantage financier car plus on teste en amont, plus on circonscrit les problèmes tôt et plus on maximise le ROI de chaque action de communication. En fin d’exploration de big ideas, on sait quelle est l’idée gagnante qui doit servir de brief à l’exécution. On teste donc moins de pistes de créations dans l’étape suivante. Inutile de dire que c’est un atout précieux en temps de crise où chaque euro compte. Deuxièmement, c’est un avantage de cohérence au fil des points de contact. Être très clair sur la big idea de départ permet en effet de garder une cohérence forte quand on communique en 360 et que l’on multiplie les points de contact dans le temps, d’un pays à l’autre, d’une cible à l’autre… Enfin, c’est un avantage de cohérence dans le pilotage de  la marque. On se pose les bonnes questions sur la stratégie de communication sans être « parasité » par des problématiques d’exécution. On a donc une meilleure vision des conséquences de telle ou telle stratégie dans le devenir de la marque que l’on a à piloter.

Auteur(s)
  • Hélène Delpont Directrice Générale, Ipsos Connect

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