De mère en fille : Les valeurs que se transmettent les femmes
Les idées préconçues ont la vie dure. A écouter ou lire certaines Cassandre, la transmission des valeurs entre les mères et leurs filles serait aujourd’hui de plus en plus difficile et le patrimoine "moral" maternel trouverait de moins en moins acquéreur. L'enquête réalisée par Ipsos pour le magazine Coté Femme montre pourtant que cette mission est perçue par la majorité des mères comme "plutôt facile", pour les valeurs traditionnelles mais aussi celles relevant de la liberté et de l'émancipation.
I – Transmettre les valeurs, une tâche que la majorité des femmes considèrent aujourd’hui comme « plutôt » facile
Les résultats de l’enquête montrent que la situation est désormais plus complexe. Surprise donc, aujourd’hui, 57% des Françaises ont le sentiment qu’il est facile pour une mère de « réussir » à transmettre des valeurs et des enseignements essentiels à sa fille. Certes, on note avec intérêt que la plupart d’entre elles considèrent que la tâche est seulement « plutôt facile » (47%) et qu’elles sont plutôt rares à considérer que c’est « très facile » (10%). Le résultat n’est pas surprenant. De fait, arriver à faire passer et acquérir à sa fille des valeurs et des enseignements que l’on estime être essentiels n’est pas toujours une partie de plaisir surtout lorsque les chérubins abordent les rivages de la préadolescence. D’ailleurs, 4 Françaises sur 10 ont le sentiment que c’est difficile même si la plupart de ces dernières modèrent cette difficulté en considérant que c’est « plutôt » difficile (34% contre 6% qui estiment que c’est « très difficile »).
Pour autant, les mères interrogées estiment aussi très majoritairement qu’il est aujourd’hui facile de réussir à leur transmettre des valeurs et des enseignements essentiels (60%) même si elles aussi restent très modérées (seulement 12% estiment que c’est très facile).
A la lecture des résultats, on note surtout que l’âge est un facteur particulièrement clivant et que contrairement à certaines idées reçues, plus les femmes sont jeunes, plus elles considèrent que la transmission des valeurs est aujourd’hui facile. Ainsi, ce sont les plus âgées qui semblent estimer que le transfert des valeurs est une source de difficultés, voire de conflits. Seulement 47% des femmes âgées de 55 ans et plus estiment que c’est facile, contre 58% pour les 35-54 ans et 65% des 15-35 ans. A priori, la communication de ce patrimoine maternel était un sujet beaucoup plus problématique avant qu’il ne l’est aujourd’hui. Les données sociologiques dont nous disposons aujourd’hui permettent d’apporter plusieurs explications à ce phénomène.
La grande majorité des enquêtes réalisées sur les valeurs des jeunes, et plus spécifiquement celles des jeunes filles montrent que ces dernières sont aujourd’hui le plus souvent rationnelles, pragmatiques, voire graves (enquête TNS SOFRES – les valeurs des jeunes – novembre 2003). Elles se montrent fréquemment très soucieuses de leur épanouissement individuel, de trouver un métier intéressant et de réussir leur vie professionnelle. Mais cela ne les empêche pas de s’investir (plus fréquemment que les garçons) au sein du cercle familial. La majorité d’entre elles ne plaisantent pas non plus avec les règles et notamment celles concernant le rapport à l’autorité. Finalement, elles se montrent assez rarement « révoltées ». D’ailleurs, les valeurs dans lesquelles elles se reconnaissent ont connu des bouleversements bien moindres et beaucoup moins importants que celles de leurs mères ou de leurs grand-mères. De 1945 à la fin des années 80, les valeurs des femmes ont connu plusieurs « révolutions ». Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui, même si ces dernières continuent d’évoluer. Le choc des valeurs des différentes générations est aujourd’hui bien moindre, à tel point qu’il a même parfois tendance à être désormais traité de façon « inversée » par le cinéma ou la littérature. Le succès de séries télévisées telles qu’Absolutely fabulous en est l’une des nombreuses illustrations. On y voit une mère, ancienne égérie des années 70 et fêtarde invétérée, tentant désespérément de convertir sa fille au culte des soirées arrosées et des paradis artificiels, alors que cette dernière ne pense qu’à ses études, sa réussite professionnelle… et à sortir sa mère des situations inextricables dans lesquelles elle se retrouve. Les valeurs que les mères transmettent à leurs filles sont donc très certainement beaucoup moins sources de confrontation qu’auparavant.
Par ailleurs, les jeunes filles tendent aujourd’hui à vouloir maîtriser de plus en plus tôt leur vie sociale. L’apparition de nouveaux modèles familiaux (familles monoparentales ou recomposées), l’omniprésence des médias ou encore l’abaissement de l’âge de la puberté expliquent aujourd’hui pour une bonne part le fait que les filles accèdent plus vite qu’avant à une certaine forme d’indépendance vis-à-vis de leur mère.
Le niveau d’équipement des adolescentes et des préadolescentes en téléphones portables ou encore leur taux de possession de comptes en banque, ne sont qu’une des multiples illustrations de leur aspiration à une véritable autonomie dans la gestion de leur vie sociale. Le fait même qu’elles accèdent aujourd’hui à une certaine forme d’indépendance et d’autonomie beaucoup plus rapidement qu’auparavant explique aussi certainement pour une part que le transfert des valeurs entre les mères et les filles soit aujourd’hui un peu moins conflictuel qu’il ne l’était auparavant. Le temps de la confrontation est très probablement plus court qu’il ne l’était.
II – Les valeurs « traditionnelles » sont celles qui se transmettent le mieux de mère en fille… tout comme celles relevant de la liberté et de l’émancipation
Là encore, les résultats de l’enquête apportent un démenti à ceux qui pensaient que la transmission des « grandes valeurs traditionnelles » se réalisait de moins en moins souvent, et à ceux qui estimaient que la mère n’en est pas ou plus le principal vecteur faute d’autorité parentale. Lorsque l’on soumet aux Françaises une liste de valeurs et qu’on leur demande si elles leur ont été transmises en partie par leur mère, elles citent d’abord et très majoritairement le sens de la famille (oui pour 89%) et le sens de l’effort (88%).
Pour le coup, on note peu de différences entre les générations. Ainsi, le sens de la famille est aussi bien cité par les plus jeunes (87% des 15-35 ans) que par les plus âgés (91% des 55 ans et plus). De même, le sens de l’effort semble avoir été aussi bien transmis aux plus jeunes des Françaises (87% des 15-35 ans) qu’à leurs aînées (92% des 55 ans et plus).
Toutefois, il est extrêmement intéressant de noter que juste derrière ces valeurs traditionnelles, à un niveau presque équivalent, on voit émerger la volonté de se battre pour défendre ce à quoi on croit (81%). Ici, c’est la liberté et l’émancipation qui sont plébiscitées. Cette valeur est dorénavant partagée par l’ensemble de la gente féminine française, des plus jeunes (77%) aux plus âgées (80%). Ce qui il y a encore 30 ans était pour beaucoup de femmes un combat à mener et à gagner (se battre pour défendre ce que l’on veut, ce à quoi on croit), est devenu une valeur pour la très grande majorité des Françaises, qui se transmet dorénavant de mère en fille.
Mais, au sein de la population féminine, cette relative homogénéité des valeurs transmises par la mère s’arrête là. Sur les autres valeurs, la lecture des résultats laisse apparaître des clivages beaucoup plus importants entre les générations. Ainsi, le dévouement et le sacrifice de soi sont aujourd’hui en perte de vitesse auprès des femmes les plus jeunes. Si 80% des plus de 55 ans disent les avoir acquis par leur mère, seulement 71% des 15-35 ans disent de même (soit une différence de 9 points). Là encore, il convient de réaffirmer l’importance qu’accordent aujourd’hui les jeunes filles à l’épanouissement personnel et à la réussite professionnelle. De fait, le dévouement et le sacrifice de soi vont plutôt « à contresens » des valeurs qui sont actuellement les leurs et qu’elles défendent.
En revanche, alors que le chef de l’Etat vient d’engager le gouvernement à présenter "sans tarder" une loi fixant des objectifs chiffrés pour parvenir à une égalité de salaires entre les femmes et les hommes, d'ici cinq ans, il est intéressant de remarquer que l’importance de l’égalité des sexes est aujourd’hui une valeur que se transmettent désormais les femmes de mères en filles.
Si seulement 50% des plus de 55 ans disent l’avoir acquise par leur mère, en revanche, 67% des 15-35 ans disent de même. Le chiffre a son importance car si dans les années qui viennent on enregistrait une augmentation continue de la proportion de femmes pour laquelle l’égalité des sexes est une valeur qui se communique dès l’enfance de mère en fille, on pourrait bien alors assister à une véritable révolution sociale et à la fin d’une des dernières inégalités hommes - femmes.
Parmi l’ensemble de ces valeurs, si elles devaient en choisir une, les femmes voudraient aujourd’hui prioritairement transmettre à leur fille la volonté de ce battre pour défendre ce à quoi elle croit (38%). Là encore, on observe l’existence d’un certain clivage générationnel puisque cette dernière est plébiscitée par près d’une jeune fille sur deux (46% des 15-35 ans) contre 40% des 36-54 ans et seulement 29% des 55 ans et plus. Toutefois, dans le même temps qu’elles affichent l’importance de leur liberté d’opinion et d’action, les femmes réaffirment en même temps leur attachement à la famille.
Ce dernier est logiquement un peu plus important auprès des femmes les plus âgées (citée par 34% des 55 ans et plus – c’est même la valeur qu’elles souhaiteraient le plus pouvoir transmettre à leur fille) mais reste aussi à un niveau conséquent auprès des plus jeunes (28% des 15-35 ans). Les autres valeurs sont citées à un niveau de priorité moindre. On trouve derrière le sens de l’effort (12%), l’importance de l’égalité des sexes (10%) et le dévouement et le sacrifice de soi (6%).
III – Pour les filles, leur mère est aujourd’hui la personne qui leur a donné « le goût de… » dans de nombreux domaines qu’elles considèrent aujourd’hui comme fondamentaux
Aujourd’hui, non seulement les femmes estiment que leur mère a joué un rôle prépondérant dans l’acquisition des valeurs qui sont aujourd’hui les leurs, mais qui plus est, elles considèrent même que ces dernières leur ont aussi donné le goût de certaines activités ou de certaines règles de vie. Ainsi, la très grande majorité d’entre elles pensent que leur mère leur a donné le goût de s’occuper des enfants (83%), d’être indépendante financièrement (77%) ou encore de cuisiner (72%) et dans une moindre mesure de se cultiver (64%). Seul le goût de se faire belle est cité de façon minoritaire (44%).
Là encore, l’analyse détaillée des résultats fait apparaître quelques légères différences générationnelles. Les femmes les plus âgées estiment plus fréquemment avoir reçu le goût de s’occuper des enfants (87% mais aussi 80% pour les 15-35 ans) ou de cuisiner (76% contre 69% pour les 15-35 ans). En revanche, les plus jeunes considèrent plus souvent avoir reçu le goût d’être indépendante financièrement (89% contre 81% pour les plus de 55 ans) et de se faire belle et de se maquiller (53% contre 38%).
Cette transmission est d’autant plus précieuse aux yeux des femmes d’aujourd’hui qu’elles estiment massivement que le fait de se voir communiquer le goût pour ces activités ou ces règles de vie est important. Que ce soit celui d’être indépendante financièrement (97%), de se cultiver (96%), de s’occuper des enfants (94%), de cuisiner (87%) ou dans une moindre mesure de se faire belle et de se maquiller (68%).
IV – Des relations mères - filles plus fréquemment axées sur la compréhension que sur la ressemblance
Cette reconnaissance du rôle fort de la mère dans la transmission des valeurs et des goûts génère aujourd’hui chez les Françaises un sentiment important de proximité avec leur mère. La très grande majorité d’entre elles avoue qu’avec le temps, elles la comprennent de mieux en mieux (83%). Là encore, on note que les plus jeunes sont celles qui affichent le plus fréquemment cette proximité avec leur mère (87% des 15-35 ans contre 79% des 55 ans et plus). Peut-être faut-il voir dans ces résultats une nouvelle illustration de cette pacification des relations mères – filles chez les plus jeunes.
Pour le reste, les françaises se montrent aujourd’hui beaucoup plus partagées. Si 48% estiment de plus en plus ressembler à leur mère avec le temps, en revanche, 42% pensent au contraire qu’elles lui ressemblent de moins en moins. La relation mère – fille se construit donc aujourd’hui plus sur la complicité et la compréhension mutuelle. On est proche de sa mère mais pour beaucoup on n’est pas « comme » sa mère. Peut-être est-ce là le secret d’une relation réussie.
V – Le couple qui représente aujourd’hui le mieux la relation mère - fille idéale : d’abord Jane Birkin et Charlotte Gainsbourg devant Françoise Dolto et sa fille Catherine
Alors, quel est aujourd’hui le couple qui illustre le mieux ce qu’est ou devrait être une relation mère - fille réussie ? Si les résultats sont très serrés, c’est d’abord parce que l’âge est là encore un facteur très clivant.
Au global, c’est Jane Birkin et sa fille Charlotte qui arrivent en tête (27%). Le fait est que la jeune fille a su mener sa propre carrière, se faire « un nom » et réussir à s’imposer dans son domaine sans rester dans l’ombre de sa mère. Jane Birkin et sa fille donnent l’image d’une relation équilibrée où chacun des membres du couple semble avoir laissé à l’autre une complète indépendance dans la façon de mener et de gérer sa vie d’adulte. Juste derrière on trouve Françoise Dolto et Catherine (24%), suivies de très près par Marlène Jobert et sa fille Eva Green, ex-aequo avec Ingrid Bettancourt et Mélanie (22% pour les deux couples). Loin derrière, on retrouve Hillary Clinton et sa fille Chelsea (5%).
Mais les choix diffèrent avec les générations. Si Jane Birkin et Charlotte sont plébiscitées par les plus jeunes comme un exemple (39% des 15-35 ans), en revanche les femmes de 36-55 ans choisissent d’abord le couple Marlène Jobert et Eva Green (28%) tandis que celles de plus de 55 ans élisent Françoise Dolto et sa fille Catherine en premier (30%).