Elections européennes entre crise et démobilisation

S’appuyant sur les vagues d’enquête réalisées chaque semaine par Ipsos pour le compte du Point, de SFR et de 20 Minutes, Jean-François Doridot, Directeur Général d’Ipsos Public Affairs, anticipe un très faible niveau de participation. Décryptage.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
Get in touch

Où en est la mobilisation de l’électorat français à une semaine du scrutin ?

Jean-François Doridot : « Elle demeure très faible depuis la mi-mars, date de nos premières mesures. Si rien ne change, il y a de fortes chances de battre un nouveau record d’abstention, voire de dépasser les 60 %. »

Quel électorat se dit le moins concerné ?

J-F.D. : « Pour l’instant, il n’y a pas vraiment de différentiel politique. Le vrai critère discriminant, c’est l’âge.  En schématisant un peu, nous avons 30% seulement des moins de 35 ans qui ont l’intention d’aller voter. Ils sont le double chez les plus de 60 ans. Cela profite indirectement à l’UMP et au Front de Gauche, les deux ayant un électorat plus âgé. »

Le cœur n'y est pas

Qu’est-ce qui avive selon vous ce désintérêt ?

J-F.D. : « La crise. Le scrutin européen n’est tout simplement pas la première préoccupation des Français. On sent bien, lorsqu’on sollicite les gens à ce sujet, qu’ils trouvent cette  actualité presque indécente par rapport à ce qu’ils vivent au quotidien. Ce n’est d’ailleurs pas un phénomène franco-français. J’ai eu l’occasion de discuter avec un certain nombre de confrères européens. Ils partagent la même impression : pour les gens, cette échéance électorale est déconnectée de la réalité. S’abstenir, c’est également pour beaucoup une occasion de montrer leur mécontentement vis-à-vis de la classe politique  (majorité comme opposition) et de sa difficulté à apporter des solutions à la crise, au niveau européen ou national. »

N’est-ce pas aussi le signe que l’on ne comprend pas grand-chose au scrutin ?

J-F.D. : « Cela a toujours été le cas. Depuis 1989, c’est le scrutin où la participation est la plus faible de tous. Pourquoi ? Parce que les citoyens ont du mal à comprendre l’enjeu de ces élections, les pouvoirs du Parlement Européen et ce que change une majorité de gauche ou de droite à Strasbourg.
De plus, l’instauration du quinquennat a diminué l’enjeu national du scrutin européen en tant qu’élection intermédiaire. Les Français ne pensent pas que le résultat de ces élections puisse avoir une influence importante sur la politique menée par le Président et le gouvernement. Finalement, les gens se disent qu’envoyer tel ou tel député au Parlement Européen ne changera rien à leur situation concrète au lendemain du scrutin, le 8 juin, lorsque la crise frappera encore plus fort… »

Qui gagne perd ?

Qui va gagner ces élections ?

J-F.D. : « La liste UMP devrait arriver en tête mais en deçà de 25%, il sera difficile de parler d’un succès pour la majorité. De plus, en effectuant la somme des listes gauche/extrême gauche contre celles de droite/extrême droite, on risque d’avoir un scrutin où se révèle un avantage de la gauche sur la droite.
A gauche, descendre sous la barre des 20% serait un mauvais résultat pour le PS. Cela étant, il faudra s’intéresser à la répartition des votes à l’intérieur de la gauche car le PS pourrait devenir minoritaire, ce qui risque de compliquer ses relations avec ses alliés communistes et verts.
Le score du MoDem et l’écart avec le PS seront des informations importantes car plus cet écart sera faible, plus l’idée que François Bayrou puisse être présent au second tour de l’élection présidentielle deviendra crédible.
Enfin, n’oublions pas que les élections régionales sont dans moins d’un an et qu’il s’agit d’un scrutin à deux tours. L’enjeu est de taille pour la gauche qui détient la quasi-totalité des régions. Si le MoDem réalise un bon score au soir du 7 juin, la question des alliances PS/MoDem reviendra au centre des débats. »

Une chose est sûre, aucune majorité anti-européenne n’a de chance de s’imposer ?

J-F.D. : « Vu le mode de scrutin avec un nombre de députés assez faible par circonscription, la gauche radicale, la droite souverainiste et l’extrême droite auront très peu de députés. Les quelques partisans du « Non » élus seront plutôt issus des listes PS et Europe-Ecologie. Cela ne reflètera pas la coupure de 2005 entre le « oui » et le « non ». »

Et si les Verts…

Les socialistes décrètent la mobilisation générale, avec notamment la tenue d’un meeting réunissant enfin Martine Aubry et Ségolène Royal. N’est-ce pas de nature à relancer le PS ?

J-F.D. : « Je ne pense pas que ce soit de nature à changer la dynamique, cette dernière n’étant franchement pas favorable au PS. D’abord parce que l’on en parle tellement que cela sous-entend qu’il est décidément vraiment très difficile de réunir Martine Aubry et Ségolène Royal. Et puis, on oublie également qu’en ce moment, la cote de popularité de Ségolène Royal est au plus bas. »

Il se dit, études d’Ipsos à l’appui, que les Européens sont en quête de sens. Quête qui se retrouve dans l'évolution de leurs habitudes de consommation ou des comportements plus responsables par rapport à l’environnement. Pensez-vous que ce désir de sens profite au vote vert ?

J-F.D. : « Oui, surtout auprès de l’électorat socialiste (20% des électeurs de Ségolène Royal au premier tour de 2007 ont l’intention de voter « Vert »). Ils peuvent ainsi à la fois envoyer un message de mécontentement à l’égard du PS et satisfaire leur volonté d’un développement économique plus soucieux de l’environnement. »

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

Société