Européennes 2014 : comprendre le vote des Français

Abstention socialement et politiquement différenciée, sociologie du vote FN, poids des enjeux européens, opinions et attentes à l’égard de l’UE et du gouvernement, le sondage Ipsos/Steria réalisé pour France Télévisions, Radio France, Le Monde, Le Point et LCP/Public Sénat et France 24 décrypte le vote des Français aux élections européennes de mai 2014. Depuis le référendum sur le traité de Maastricht, les enjeux européens ont toujours profondément clivé l’opinion publique, entre des couches supérieures (diplômés, cadres, hauts revenus…) traditionnellement plutôt europhiles et des couches populaires et modestes (chômeurs, ouvriers, personnes peu diplômés, bas revenus…) profondément eurosceptiques. Ce dernier scrutin n’échappe pas à la règle et reste marqué par ce clivage social fondamental, les couches populaires ayant par exemple massivement choisi l’abstention et le vote FN ce dimanche.

Les catégories populaires ont très majoritairement déserté les urnes

Une très large majorité des jeunes et des catégories populaires et moyennes n’ont pas participé au scrutin. A l’inverse, l’abstention a été inférieure à la moyenne nationale au sein des générations âgées et des CSP+. Ainsi :

-la participation au scrutin n’a concerné qu’un quart des moins de 35 ans (27%) alors qu’elle a réuni 60% des personnes âgées de 60 ans et plus.

-69% des chômeurs, 68% des employés et 65% des ouvriers se sont abstenus pour 53% des cadres et professions intellectuelles supérieures.

-Plus de 60% des individus à faible niveau de diplôme ne se sont pas rendus aux urnes,  pour 48%  de ceux à haut niveau d’études.

-L’abstention s’élève à 70% chez les personnes issues de foyer gagnant moins de 20 000 euros bruts par an pour 50% chez celles issues de foyer gagnant plus de 50 000 euros annuels.

58% des électeurs Hollande de 2012 se sont abstenus aux européennes

L’analyse par électorats montre que la mobilisation de l’électorat de droite et du FN a été supérieure à celle de l’électorat socialiste. 58% des électeurs de François Hollande en 2012 ne se sont pas rendus aux urnes pour par comparaison 50% de ceux de Marine le Pen et 48% de ceux de Nicolas Sarkozy. Comme aux municipales, il y a donc bien eu une abstention différentielle entre électeurs de gauche et de droite lors ces élections européennes. C’est au sein des électorats du Front de Gauche (57%) et de l’UDI (57%) que la participation a été la plus importante.

Les raisons de l’abstention : la défiance à l’encontre du politique

La perception d’une impuissance du politique (32% de ceux qui se sont abstenus évoquent comme raison principale le fait « que ces élections ne changeront rien à leur vie quotidienne »), la défiance  à l’égard du personnel politique (26% disent s’être abstenus pour « exprimer leur mécontentement à l’égard des hommes politiques »)  et le manque d’informations sur les élections européennes (21%) arrivent en tête des raisons qui fondent le comportement des abstentionnistes du premier tour.

Jeune et populaire : la sociologie du vote FN

Parmi les votants, le FN réalise ses meilleurs scores au sein des couches populaires et modestes de la société : ouvriers (43%), employés (38%), chômeurs (37%), foyers à bas revenus (30%), et personnes à  faible niveau de diplôme (37%). Il est également lors de ces élections le premier parti au sein des moins de 35 ans (30% contre 15% au PS et 15% à l’UMP) et des 35-59 ans (27% contre 18% à l’UMP et 12% au PS). L’UMP conserve sa traditionnelle suprématie sur l’électorat de plus de 60 ans (25% contre 21% au FN et 17% au PS). Cette élection vient aussi confirmer la fracture grandissante entre l’électorat populaire et le Parti socialiste : seuls 8% des ouvriers et 11% des bas revenus ont voté pour une liste socialiste dans leur circonscription ce dimanche.

L’arrivée du FN en tête aux élections européennes n’indigne pas plus d’un Français sur deux

Enième signe de la banalisation du FN, 51% des Français n’ont pas de sentiments négatifs à l’égard de de la victoire du FN : 27% disent ainsi éprouver de « la satisfaction » et 24% de « l’indifférence », 49% étant « mécontents ». A droite, 22% des électeurs UMP sont satisfaits de la victoire du FN, 34% sont indifférents et 44% mécontents.

Motivations du vote : les enjeux européens ont compté

62% des votants disent avoir privilégié les questions européennes pour déterminer leur vote alors que 39% ont à l’inverse avant tout tenu compte des enjeux nationaux. Une proportion quasi-équivalente (58%) déclare d’ailleurs n’avoir voté ni pour soutenir, ni pour sanctionner le président de la République et le gouvernement. Un tiers de l’électorat s’est déplacé aux urnes pour manifester son opposition à François Hollande et au gouvernement, 8% pour exprimer à l’inverse son soutien.

Les électeurs FN sont les seuls à déclarer majoritairement avoir privilégié une logique nationale : 69% disent ainsi par exemple avoir voté pour sanctionner le président et le gouvernement.

Cette prévalence des enjeux européens se lit également dans la hiérarchie des enjeux ayant le plus compté au moment du vote : à respectivement 31% et 30% de citations, l’immigration et le pouvoir d’achat se classent en tête des thèmes les plus déterminants du choix électoral, juste devant la crise dans la zone euro (27%) et le chômage (27%). Ce quatuor devance nettement tous les autres enjeux testés (le maintien de la paix en Europe, l’environnement, la dette publique, la sécurité et les retraites notamment).

L’UE n’apparaît plus comme un cadre protecteur à une majorité de Français

Depuis 2008, la crise économique et financière a indéniablement fragilisé le lien des Français à l’UE. L’UE n’est ainsi plus perçue comme un cadre protecteur par une majorité de Français : 51% des personnes interrogées considèrent en effet que « l’appartenance de la France à l’UE a aggravé les effets de la crise sur les Français ». 27% seulement estiment à l’inverse que l’appartenance européenne de la France a « protégé les Français des effets de la crise », 22% jugeant que cette appartenance européenne a été sans effets sur les conséquences de la crise. En conséquence, les attitudes d’hostilité ou d’indifférence à l’égard de l’Union européenne sont aujourd’hui dominantes dans l’opinion. Seuls quatre Français sur dix voient l’appartenance de la France à l’UE comme « une bonne chose »,  23% estimant à l’inverse que c’est « une mauvaise chose » et 36% considérant de manière neutre que ce n’est « ni une bonne, ni une mauvaise chose ». Une courte majorité de l’électorat de droite (52%) et de gauche (52%) considère positivement l’appartenance de la France à l’UE alors qu’une large majorité de l’électorat FN (58%) la regarde négativement.

Appelés à se prononcer sur les mesures prioritaires à prendre par l’UE pour les prochaines années, les Français lui assignent au fond d’agir dans tous les domaines d’action où elle fait preuve aujourd’hui de manques ou d’insuffisances. Protectionnisme européen (39% de citations pour un système permettant à l’UE d’augmenter les droits de douane face au pays qui ne respectent pas les règles du commerce international), meilleur contrôle de l’immigration grâce à une police des frontières européenne (29%), harmonisation fiscale (29% de citations pour un impôt unique pour les entreprises européennes) et sociale (26% de citations pour un smic européen) se classent ainsi en tête de la hiérarchie des demandes des Français à l’égard de l’UE.

La crise de confiance à l’égard de l’UE crée une demande consensuelle de restauration d’une forme de souveraineté nationale

La montée de la défiance et de la critique à l’égard de l’UE n’entament pas le soutien à l’euro. 72% des Français sont favorables au maintien de la France dans la zone euro, seuls 28% se prononçant pour une sortie de l’euro et un retour au franc. Les électeurs du FN sont les seuls à majoritairement souhaiter une sortie de l’euro.

Elles débouchent en revanche sur une demande nettement majoritaire d’une forme de restauration de la souveraineté nationale : « pour faire face efficacement aux grands problèmes des années à venir », près de deux tiers des Français considèrent en effet « qu’il faut renforcer le pouvoir de décision national même si cela limite celui de l’Europe ». 22% se prononcent à l’opposé pour un renforcement du pouvoir de l’Europe, 14% estimant enfin qu’il ne faut rien changer à la répartition actuelle des pouvoirs. La demande de renforcement du pouvoir national est consensuelle et majoritaire dans tous les électorats, à la seule et unique exception de l’électorat UDI. 

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