Européennes : les petites listes grignotent les grandes
Réalisée deux semaines avant le scrutin européen, la dernière enquête Ipsos-le Point ne montre aucune mobilisation nouvelle de l'électorat. François Hollande garde largement sa première position mais les grandes listes perdent des points au profit des petites.
Laurent Fabius a sans doute raison de craindre que le scrutin du 13 juin franchisse un record d'abstention. Pour des élections européennes, celle-ci avait culminé à 51,2% des inscrits en 1989. A en juger par le niveau de mobilisation de l'électorat, tel que le mesurent les enquête d'opinion, il n'est du tout exclu que plus d'un Français sur deux boude les urnes en l'an un de "l'Eurolande".
L'absence d'intérêt accru des Français pour l'élection européenne à l'approche de l'échéance est sans doute l'enseignement le plus surprenant de la dernière enquête Ipsos-le Point consacré à ce scrutin. Seulement 16% des personnes interrogées se déclarent "très intéressées" et 44% "plutôt intéressées". On totalise 60% de gens qui se prétendent "intéressés" - exactement le même chiffre que celui qui était enregistré en février dernier (avec, également, 39% qui osent avouer leur désintérêt pour la chose). A deux semaines du vote, pour le grand public, la campagne européenne n'a toujours pas démarré...
Cette indifférence relativise inévitablement la portée des intentions de vote mesurées par les instituts de sondage. L'important n'est pas de déclarer que l'on voterait pour tel ou tel, mais de déposer effectivement un bulletin de vote dans l'urne le jour J. La tentation abstentionniste gagne inégalement les différents électorats. Les électeurs de gauche se disent globalement plus "intéressés" par cette échéance que ceux de droite, sans doute décontenancés par la diversité des listes qui s'offrent à leurs suffrages. Deux secteurs de l'opinion apparaissent particulièrement désengagés: les sympathisants écologistes et ceux du Front national. Il est vrai que ces deux courants se présentent en ordre dispersé aux européennes.
La liste conduite par François Hollande arrive en tête des intentions de vote, comme ce fut le cas tout au long de cette "campagne" et chez tous les instituts. Avec 24%, la liste PS-PRG-MDC recule cependant d'un point en une dizaine de jours. Traditionnellement, les plus grosses listes perdent quelques plumes dans la dernière ligne droite, victime des listes marginales qui émergent au dernier moment. Ces listes-là sont d'ailleurs d'ores et déjà créditées de 2,5% des intentions de vote par la dernière enquête Ipsos. Si le premier secrétaire du PS devait confirmer le 13 juin un score voisin de celui dont il est question aujourd'hui, il pourrait légitimement savourer le contraste par rapport aux misérables 14,5% recueillis par Michel Rocard en 1994. Mais cela ne devrait pas lui faire oublier qu'il conduit une coalition de trois formations qui avaient séparément recueilli pas moins de 29% des suffrages, il y cinq ans, par la grâce du fugace phénomène Tapie.
A l'inverse, la situation de la droite pourrait ne pas être aussi catastrophique que le médiocre score anticipé pour la liste Sarkozy-Madelin pourrait le laisser croire. Certes, la coalition RPR-DL ne semble pas spécialement portée par une irrésistible vague. Avec seulement 17% des suffrages potentiels, elle perd encore un point par rapport à l'enquête précédente. C'est peu pour une liste qui se vante de porter la "vraie croix" du président de la République. L'opposition sera sans doute bien obligée, au soir du 13 juin, de ressortir la calculette de Bernard Pons. Ce proche du chef de l'Etat avait provoqué l'ire de Philippe Séguin en suggérant d'additionner les voix des listes UDF, RPR-DL et Pasqua. A ce jeu, la "droite classique" est aujourd'hui créditée de 36,5% de voix, soit seulement un peu moins qu'en 1994 (37,9%).
L'ultime enquête Ipsos est plus encourageante pour les "souverainistes" du couple Pasqua-Villiers, qui franchiraient la barre des 10%, que pour les "européens" de François Bayrou, qui se situerait en-dessous. Les intentions de vote qui se portent sur les premiers sont plus fermes et en hausse alors que celles des seconds sont plus molles et orientées à la baisse. Une fraction non négligeable des sympathisants RPR et DL semblent attirés par le vote Pasqua.
A gauche, la liste Laguiller-Krivine est évaluée juste au-dessus de la barre de 5%. Ce n'est pas la percée spectaculaire que les trotskistes espéraient, mais c'est nettement plus que le score de la liste Lutte Ouvrière de 1994 (2,2%). Le PCF est lui aussi plutôt parti pour améliorer sa performance d'il y a cinq ans. Avec 8% des intentions de vote, il progresserait d'un gros point par rapport à l'élection de référence (6,9%). D'aucuns remarqueront néanmoins, si ce résultat devait se concrétiser après le dépouillement, que la "mutation" et "l'ouverture" sont d'un rendement assez maigre.
Les Verts risquent, eux aussi, de connaître les sentiments mitigés d'une progression décevante. Avec 6,5% des suffrages virtuels, la liste Cohn-Bendit ferait nettement mieux que les 2,9% encaissés par les Verts en 1994, et même que les 4,9% totalisés par les écologistes à l'époque. Mais, avec le souvenir de sondages plus prometteurs, l'ancien leader de mai 68 ne parviendrait pas à créer le séisme électoral dont il rêvait. Son score est d'autant plus incertain que ceux qui ont l'intention de voter pour lui sont les moins sûrs de leurs choix avec les partisans de Bayrou. Et ce n'est pas le score très modeste (1,5%) promis à l'ancienne étoile verte Antoine Waechter qui saurait expliquer le faible "effet Dany". Il se consolera peut-être en observant qu'il séduit une fraction non négligeable de la jeunesse, tout comme l'extrême-gauche... et l'extrême-droite.
De ce côté-là, la fin de campagne semble creuser l'écart entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret en faveur du premier. Avec 8% des intentions de vote, le leader du FN écraserait celui du MN, crédité de seulement 2,5%. L'électorat populaire capturé par l'extrême-droite semble rester fidèle au menhir du Morbihan.
Quant aux Chasseurs, qui deviennent des habitués de la compétition européenne, ils semblent en situation de rééditer leur exploit de 1994 avec 4,5% des intentions de vote. Restent les micro-listes qui complètent le tableau pour parvenir aux vingt bulletins de vote entre lesquels l'électeur devra choisir. Parmi celles-ci, la liste "Moins d'impôts maintenant" de Nicolas Miguet et celle du militant de la réduction du temps de travail Pierre Larrouturou pourraient ne pas obtenir un nombre ridicule de voix. Mais le microscope des sondeurs n'est pas assez puissant pour oser les évaluer.