Gauche / Droite : état des lieux de l’opinion française par Brice Teinturier
Brice Teinturier, interviewé par le FigaroVox, analyse la situation politique en France, à quelques mois des élections Municipales.
Où va la droite ?
En dépit de la cote de confiance très faible de l’exécutif, une majorité de Français considère que l’UMP et le FN ne feraient pas mieux que la gauche au pouvoir. Pourquoi l’opposition ne profite-t-elle pas davantage de la défiance à l’égard du gouvernement ?
Il y a 4 principales raisons à cela.
Plus les alternances se succèdent, plus elles tuent l’espérance qui leur sont associées, comme si la crise du résultat élevait à chaque fois le mur de scepticisme des Français. De ce point de vue, l’UMP vit ce que la gauche avait aussi connu en son temps : après une longue période au pouvoir et une défaite encore récente, on ne peut espérer être rapidement audible et crédible dans les solutions que l’on propose. En effet, les Français objectent : pourquoi n’avez-vous pas fait hier ce que vous dites aujourd’hui qu’il faut faire et qu’est-ce qui nous permet de penser qu’avec les mêmes hommes ou femmes au pouvoir, vous le feriez demain ? A cela il n’y a que deux solutions : le temps d’une part, un examen critique d’autre part sur ce que la droite a fait de positif et de négatif au cours des 10 dernières années, ou ce qu’elle n’a pas fait, accompagné d’une explication. C’est la seule façon pour que les Français puissent être convaincus, en dehors des engagés / enragés qui soutiennent un camp quel qu’il soit et quel que soit son programme. Or, cet examen critique n’a pas été véritablement conduit.
La deuxième raison, c’est la question du leadership. La droite ne dispose pas d’un champion incontesté qui pourrait incarner et porter les propositions qu’elle fait. Elle est divisée et la question récurrente du retour possible de Nicolas Sarkozy, ajoutée au fait que les primaires sont encore loin, bloque l’émergence d’un leader fort.
La troisième raison est que jusqu’à une date récente, l’UMP s’est embourbée dans des débats et des polémiques sur la question de ses relations avec le Front National. Or, se faisant, elle est apparue autocentrée sur un problème certes fondamental pour elle mais qui n’est pas celui des Français. Ce n’est que depuis quelques temps seulement qu’elle se concentre sur les enjeux prioritaires de nos concitoyens : le chômage, la fiscalité, la réduction des déficits, les retraites, etc. Elle commence également à remettre les problèmes d’intégration et d’autorité à leur juste place : ils taraudent la société française et doivent être traités mais ne peuvent constituer l’épine dorsale d’un projet d’alternance.
La quatrième raison enfin, c’est un sentiment de déjà-vu. Il est assez injuste mais malgré tout, les propositions qui s’esquissent rappellent trop souvent celles des années 80. Il manque encore une griffe spécifique permettant de construire un plus grand intérêt et un plus grand désir de droite.
Près de deux ans après la défaite de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle, sa stratégie de droitisation est toujours aussi controversée. L’UMP est-elle trop à droite ou au contraire pas assez à droite ?
Ni l’un ni l’autre. La question ne porte pas sur le degré de droitisation mais sur la capacité de se rassembler derrière un leader reconnu, portant un message d’unité plutôt que de clivage ou de fragmentation dans une société déjà fragmentée, et opérant des synthèses nouvelles. A nouveau, l’enjeu, c’est la capacité de susciter une espérance et cela passe certes par une personnalité mais aussi, par des propositions, comme cela avait été le cas en 2006 / 2007.
Les sondages et le succès inattendu de la manif pour tous semblent attester d’une droitisation réelle de la société française. La droite peut-elle être débordée par sa base ?
Il y a un glissement à droite incontestable de la société française, qui demande à la fois de la liberté et de la Justice mais aussi et de plus en plus de l’ordre, du cadrage et des repères, en s’exaspérant de ce que certains appellent « l’assistanat ». La tradition est donc à nouveau valorisée et les plaques tectoniques évoluent dans une sorte de « cycle à la Joseph de Maistre ». Mais attention : toute la droite ne se résume pas à ce mouvement. L’erreur serait donc aussi d’ignorer les aspirations à la modernité et à un individu producteur de nombreuses normes, même si certaines doivent être encadrées.
La droite traditionnellement bonapartiste est-elle également désorientée par l’absence de chef. Nicolas Sarkozy, officiellement retiré de la vie politique, est-il le seul à pouvoir rassembler sa famille politique ?
La crise de leadership est réelle et Nicolas Sarkozy reste la personnalité préférée des sympathisants UMP. Il est également celui qui, aujourd’hui, est de loin le leader préféré pour porter les couleurs de sa famille politique lors de la prochaine élection présidentielle. Il est enfin le meilleur pour mordre sur l’électorat FN. Mais il est aussi une personnalité clivante, notamment au centre et au centre droit. Tout dépendra donc de la façon dont son retour s’organisera, autour de quel projet et de quel positionnement, afin de rassembler bien au-delà de l’UMP.
Où va la gauche ?
La dernière conférence de presse du président de la République a été marquée par son tournant social-démocrate, voire social-libéral. Quelles peuvent être les conséquences politiques de ce virage ?
Il y a d’abord un effet de cohérence et de leadership accru : là où François Hollande donnait le sentiment de mener une politique sans le dire ou sans la nommer clairement, il assume maintenant nettement ses choix et les orientations qui en découlent.
L’autre effet est à la fois de bousculer la gauche de la gauche et une partie du PS et de mettre la droite dans l’embarras. Celle-ci, on l’a vu, hésite entre le soutien vigilant et le refus en bloc de faire confiance au Président.
Pour François Hollande, il s’agit en tous cas d’un pari risqué : d’un côté, une partie des milieux économiques et de la droite semblent prêts à saisir l’opportunité offerte pour véritablement améliorer la compétitivité des entreprises, reconstituer leurs taux de marge et à court ou moyen terme, investir et embaucher. Si cela marche, le pays y gagnera et le Président aussi. Mais si les engagements présidentiels ne sont pas suivis de contenus concrets ou si les tenants de la surenchère l’emportent, que ce soit à gauche dans la critique des « cadeaux aux entreprises sans contreparties » ou à droite et au MEDEF dans le « ce n’est pas assez », la situation sera encore plus bloquée et la défiance, déjà haute, flambera non seulement à l’égard des partis de gouvernement mais aussi, des entreprises. Je n’aime pas les formules excessives mais je crois que nous sommes véritablement là à un tournant historique.
François Hollande risque-t-il de s’aliéner la partie de sa base électorale la plus à gauche ? Peut-il au contraire gagner des électeurs au centre, voire au centre-droit ?
Oui, c’est un risque tout à fait possible et que l’on mesure déjà dans certaines côtes de popularité : les électeurs les plus à gauche ont du mal à avaler la pilule. Au MODEM à l’inverse et un tout petit peu à l’UDI, l’annonce suscite l’intérêt. Mais la route est encore longue pour créer de la conviction et éventuellement, de l’adhésion et des reclassements.
Dans ce contexte de recentrage du PS et de crise économique, comment expliquez-vous que la gauche de la gauche n’en profite pas davantage ?
Parce que les mentalités changent. Même si les sympathisants du FDG, du NPA et de LO ou une frange du PS n’approuvent pas ces nouvelles orientations, les propositions alternatives de ces formations ne convainquent pas beaucoup plus aujourd’hui qu’hier. Par ailleurs, pour une partie d’entre eux, mieux vaut une ligne claire, même que l’on ne partage pas totalement, qu’une ligne floue. Le besoin de leadership est également présent à gauche !
Sur fond de montée du FN, assiste-t-on à la fin du clivage droite/gauche et à une recomposition complète du paysage politique ?
En dépit de tout ce que l’on raconte et de ce que les français eux-mêmes disent du clivage gauche-droite, celui-ci reste extraordinairement explicatif des attitudes et des opinions. Il y a des sensibilités, des visions du monde, des valeurs et des aspirations qui ne sont pas les mêmes à gauche et à droite. En revanche, l’organisation politique de notre pays s’essouffle. Les Français sentent bien que les oppositions sont parfois sur-jouées entre la droite et la gauche de Gouvernement. Parallèlement, le mécontentement s’amplifie et la recherche d’une alternative à l’UMP et au PS - et pas seulement d’une alternance – se renforce, le FN en étant le principal réceptacle. Enfin, il y a tous ceux qui se détachent, c’est-à-dire les abstentionnistes. Cette fragmentation est dangereuse : tous les indicateurs montrent que la défiance à l’égard du système politique s’amplifient et atteignent des niveaux inégalés, que la démocratie est de plus en plus critiquée voire contestée, et rien ne se passe, comme si « the show must go on » s’appliquait plus que jamais en politique. Or, il nous conduit dans le mur. Soit les organisations partisanes évoluent pour coïncider davantage avec les courants d’opinion qui structurent la société française actuelle, ce qui suppose que certains partis meurent ou fusionnent avec d’autres, que d’autres évoluent et bref, qu’il y ait des reclassements, soit les bases actuelles perdurent, et elles sont de plus en plus obsolètes.