Guerre en Irak : le gouvernement américain contre l'opinion

Il est rare qu'une question d'opinion fasse consensus à travers le monde. On n'en est pourtant pas loin quand on examine les réactions aux menaces d'intervention militaire en Irak. Dans tous les pays où des sondages ont été réalisés, à l'exception des Etats-Unis, la majorité des personnes interrogées se déclare opposée à la guerre. Même outre-Atlantique, l'opinion publique est loin d'être unanime, surtout si l'on met en avant dans le questionnement un désaccord des Nations Unies.

Auteur(s)
  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs
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En France, les mesures réalisées par les principaux instituts sont sans ambiguïté : selon les enquêtes réalisées par Ipsos dans les deux derniers mois, les trois quarts de la population s'opposent à toute "intervention militaire en Irak".
L'opposition à "une intervention militaire française, dans l'hypothèse d'une intervention décidée par le Conseil de Sécurité de l'ONU" est tout aussi forte (étude Ifop, 10 janvier). Un sondage de l'institut BVA réalisé fin janvier indique encore que, pour 80% des personnes interrogées, "la France doit utiliser son droit de veto si les Américains proposent au Conseil de sécurité de l'ONU une résolution visant à attaquer l'Irak".

Une enquête internationale menée par le réseau Gallup montre que l'opinion des Français est loin d'être isolée. A choisir à quelle condition l'on était "favorable à une action militaire contre l'Irak", l'item "en aucune circonstance" est le plus souvent choisi, dans 33 des 40 pays de l'étude. Dans six pays (Irlande, Pays-Bas, Australie, Canada, Etats-Unis), ces opposants "catégoriques" à la guerre sont légèrement moins nombreux que les personnes favorables à une intervention "seulement si elle est approuvée par les Nations Unis". A chaque fois, les personnes qui soutiendraient une action décidée "unilatéralement par les Etats-Unis et leurs alliées" sont très largement minoritaires, sauf aux Etats-Unis (33%). A noter encore pour cette enquête l'exceptionnel niveau de non-réponse enregistrée sur cette question en Yougoslavie, 69%.
Ipsos vient à son tour de publier une étude internationale montrant plus globalement l'isolement croissant de l'administration Bush. Dans 12 des 14 pays testés, la majorité des répondants souhaite que son gouvernement "soutiennent moins la politique du gouvernement américain". Cette opinion est notamment par 63% des Britanniques, 57% des Turques, les deux tiers de Français, plus de la moitié des Allemands.
De nombreuses autres enquêtes nationales viennent confirmer ces tendances. Les résultats des derniers sondages laissent même penser à un renforcement du camp des hostiles à la guerre. Les deux tiers des Canadiens par exemple se prononcent à présent contre une intervention militaire américaine sans l'accord des Nations Unis ; 60% seraient contre une aide canadienne à une intervention américaine si celle-ci était décidée unilatéralement, auxquels s'ajoutent les 18% de canadiens opposés à un soutien militaire de leur pays "dans tous les cas" (étude Ipsos).

Aux Etats-Unis aussi, l'opinion publique est nettement plus partagée que ce que l'on a coutume d'entendre dans les médias. Déjà, à peine la moitié des Américains sont convaincus que les charges qui pèsent contre l'Irak sont justifiées. Tout en le suspectant, seulement une personne sur deux croit que l'Irak "possède des armes de destruction massive" ou même qu'elle puisse en fabriquer ; moins de 40% sont convaincus de l'existence de "liens entre l'Irak et Ben Laden ou les réseaux terroristes comme Al Qaeda", selon une étude Gallup réalisée quelques jours avant le discours de Colin Powell devant le Conseil de Sécurité des Nations Unis.
Les "preuves" présentées ce jour là par le secrétaire d'Etat n'ont d'ailleurs pas radicalement changé la perception des Américains. Audience moyenne (13% des Américains auraient regardé à la télévision l'intervention "en entier ou presque"), et impact limité, 80% des personnes qui ont pris connaissance du discours n'ont pas changé d'avis sur l'opportunité d'une intervention militaire en Irak pour renverser Saddam Hussein, qu'ils y étaient auparavant favorable ou non (enquête Gallup).
L'autre étude réalisée et publiée depuis l'intervention de Colin Powell montre que, si les deux tiers des Américains soutiennent le recours à la force pour renverser le dictateur irakien, contre un tiers qui s'y oppose, les deux camps se rééquilibrent en cas de désaccord des Nations Unis (49% contre 46% qui préfèrerait alors ne pas intervenir). La proportion de personnes prête à passer outre un désaccord des Nations Unis a toutefois augmenté d'une dizaine de points depuis mi-décembre (37% / 58%, enquête Washington Post/ABC News). Le renforcement médiatisé des troupes américaines présentes dans le Golf depuis la mi-décembre (actuellement, plus de 120 000 "boys" aux portes de l'Irak) a peut-être, davantage que le travail des inspecteurs de l'ONU ou les "preuves" présentées par Powell, contribué à minimiser l'avis des Nations Unies pour les Américains. Pendant ce temps toutefois, la cote de popularité de George W. Bush continue de s'effriter. Selon la dernière vague du baromètre Ipsos/Cook Political Report réalisée fin janvier, il recueille encore 54% d'approbation (contre 41% d'avis contraire), soit une chute de plus de 20 points en un an.

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  • Jean-François Doridot Directeur Général Public Affairs

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