Il faut savoir terminer une crise
Il y a la définition du Dictionnaire et l’expérience des Français. La première, chez Larousse exemple, associe ce mot à la « brusque manifestation d'un sentiment ou d’une volonté d’action (crise de jalousie, de rangement…) » ; vient ensuite « un moment très difficile dans la vie d’une personne (crise de conscience) », d’un groupe ou de la société, quand leur situation est marquée par « un trouble profond, une rupture d'équilibre ». Dans le domaine médical, une crise est l’irruption, « en pleine santé apparente, d’une pathologie (crise d'appendicite, d'épilepsie, de foie, etc.) ». Crise est aussi synonyme de pénurie (logement, alimentation, énergie…). Heureusement, on parle aussi de fou-rire et de « crise d’hilarité générale ».
L’expérience pose la question de l’usage systématique de ce mot « depuis toujours » pour les plus âgés des Français, avec une date de naissance – 1973, l’année du premier choc pétrolier : « J'ai quatre-vingt ans. Depuis que j'ai commencé à comprendre les évènements politique, les hommes politique, les gouvernements, etc., j'ai toujours connu mon pays en crise ! Même pendant les soi-disant 30 Glorieuses, mais au fait, glorieuses pour qui ? ». Pour les plus jeunes, l’entrée en crise(s) date de 2008 avec Lehmann-Brother, suivie(s) par d’autres spasmes plus ou moins longs, crise sanitaire avec la Covid-19, l’invasion russe en Ukraine, l’inflation, sans oublier les effets du dérèglement climatique
Une crise désigne « une situation qui n'est pas normale et va dans le mauvais sens » et apparaît en priorité comme la conséquence de quelque chose que les Autorités avaient été incapables de voir et d’anticiper, soit par dénégation, soit par incompétence : « C’est un moment où apparaissent avec intensité les conséquences du déséquilibre d'un système qui cesse de fonctionner parce que nul n'ayant eu le courage de le réparer, on l'a rapiécé, mais ça faisait longtemps qu'il était boiteux, et à un moment, il craque. » Le manque d’anticipation et l’impréparation aggravent les conséquences de cette rupture prédictible : « On fait face à un problème mais on n'a pas de solution "toute prête" pour le résoudre ». La crise surgit simultanément comme révélateur, accélérateur et catalyseur parce qu’elle « n’est que le résultat de disfonctionnements préalables ».
Crise est donc synonyme de danger, de peur, de rupture avec le connu et le familier, de stress, d’angoisses, avec des conséquences négatives, comme « nous obliger à efforts non-désirés et négatifs, ne plus pouvoir se nourrir correctement, se priver, être acculés par les contraintes, ne pas se loger comme on voudrait à cause des prix de l’immobilier », avec un effet d’accumulation des frustrations : « Manquer d'argent pour l'essentiel, se nourrir, payer ses factures… Les loisirs, n'en parlons plus ! ».
L’un des constats des Français est que les crises sont maintenant simultanées et interdépendantes et pèsent autant sur le climat économique, social, que politique : « Il y en plusieurs en même temps, l'inflation, les inégalités qui progressent, le mouvement contre la réforme des retraites, l'abstention qui progresse à chaque élection », mais avec des niveaux d’impacts différents selon les cas, de diminuer le pouvoir d'achat à la guerre pure et simple, en passant par la violence extrême et la contestation populaire. De ce point de vue, le gouvernement ne semble rien faire pour apaiser les tensions, en semblant sourd au rejet de la réforme des retraites par les 2/3 des Français, créant « une situation où tout est bloqué et où rien n’avance, avec des conflits ».
Pour de nombreux Français, les crises font le lit des extrêmes et de tous les populismes. Sur le plan politique, c’est pour certains – les Dégagistes – la sanction méritée d’années de dénégation et d’incurie, quand pour d’autres – les Légitimistes – un cocktail explosif menace d’un basculement démocratique avec : « Inflation + guerre + président sourd qui prend de mauvaises décisions pour le Peuple et gouverne quasiment sans le Parlement = risque du RN à la tête du pays la prochaine fois. Le bruit des bottes est là ! ».
Dans la logique de son étymologie[1], une crise implique des choix entre des modèles et des systèmes, des solutions, pour la résoudre. Par exemple, pour agir sur le plan environnemental et socioéconomique pour ceux qui pensent qu’elle interpelle sur notre modèle de consommation et espèrent, comme au moment de la Covid-19, un Monde d’Après décroissant et responsable : « Respectons notre planète ; elle en a bien besoin, il faudrait agir ensemble au lieu de chercher des coupables ».
Dans tous les cas, une crise devrait interdire d’imaginer que la vie va reprendre comme si rien n’était arrivé parce qu’elle signale que « nous sommes arrivés à un point de non-retour, qu’il faut changer les choses, la façon de vivre, de travailler, de consommer, etc. ». Mais c’est oublier une tendance humaine de fond : rechercher toujours plus de confort matériel. Résilience ? Amnésie ? Egotisme ?
[1] Crise vient du grec Krinein qui se traduit par « Décider ».