Le « brand content », nouveau Graal ou effet de mode ?

Les rapports des consommateurs avec les marques et les institutions évoluent. Leurs relations aux médias, leurs pratiques également, sont chamboulées elles aussi. Dans ce contexte le « brand content » est-il devenu le nouvel alpha et omega de la communication ? Réponse de  Fabienne Simon, Directrice Département Corporate Ipsos Public Affairs.

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  • Fabienne Simon Chief client officer
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Il est d'usage d'attribuer l'invention du modèle à Michelin ; le manufacturier français qui, au début du siècle dernier, institua ses fameux guides recensant les hôtels, restaurants et autre sites pittoresques incontournables, histoire d'inciter les automobilistes en devenir à s’équiper, à rouler et in fine, à user les pneus du Bibendum. Michelin a donc fait du « brand content » comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, sans le nommer. Sous sa forme actuelle anglo-saxonne, le concept est nettement plus récent et ce n’est qu’en 2010 que l’Udecam (Union des agences media) a créé une commission sur ce sujet, l’institutionnalisant en quelque sorte dans l’univers du marketing et de la communication.

Un contenu à forte valeur ajoutée

Les définitions du "brand content" varient autant que le nombre et la diversité des acteurs qui s’emparent du sujet. Toutes s’accordent cependant sur quelques fondamentaux : qualité de la production, pertinence stratégique (en cohérence avec la marque) et créative (innovante), efficacité de la distribution et génération d’audience… Concrètement, le « brand content » ne désigne pas seulement un contenu éditorial et des consumer magazines. Il intègre désormais des genres et des modes d'expression très variés, notamment audiovisuels et digitaux : programme court sponsorisé, documentaire, émission TV, fiction, film, webséries, site éditorial, site de services, réseau social de service de divertissement ou utilitaire, événement, radio, programmation musicale… Et il en existe de différents styles : ludique ou divertissant (pour distraire et amuser), pratique et utile (pour rendre service) ou informatif (pour renseigner et cultiver). Dans tous les cas, il ne s’agit surtout pas d’un message publicitaire mais d’un contenu à forte valeur ajoutée permettant à la marque d’instaurer ou d’enrichir sa relation avec ses stakeholders, d’affirmer son histoire et ses valeurs, de raconter une histoire en cohérence avec sa stratégie, de faire vivre ou de faire partager une expérience inédite à ses consommateurs. Ce sont donc des messages à la fois complexes et subtils, empruntant beaucoup aux techniques de l’écriture journalistique et de la création artistique qui sont ainsi proposés à des publics libres de s’en emparer, de les enrichir, de les recommander.

Les consommateurs prennent leurs distances avec les marques

Après la communication globale, le « 360° x 365 jours », la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), le « brand content » est il devenu le nouvel alpha et omega de la communication ? La défiance généralisée vis-à-vis du personnel politique tout d’abord, des autorités, des institutions et des grandes entreprises ensuite, ajoutée ce qui a été décodé comme des mensonges du marketing, combinés à la pression croissante sur le pouvoir d’achat, tout cela a conduit les consommateurs à se méfier des marques, des messages publicitaires, des promesses trop belles pour être vraies. Qui plus est, l’arrivée d’Internet a permis de s’informer, de comparer, de sélectionner, de critiquer, bref de disposer du pouvoir de déjouer les « pièges » du marketing et de la communication. Le contexte de prolifération des marques (de 1992 à 2008, le nombre de dépôts publiés de marques françaises a progressé de presque 53%), des points de contacts, des messages, a ainsi généré des sentiments de saturation et de la lassitude vis-à-vis des marques et de leurs discours (symptômes de publiphobie croissante, progression des MDD). Au total, les consommateurs ont pris leurs distances, sinon avec les marques, tout au moins avec l’idée de la marque. Dans le même temps, l’explosion de médias - digitaux mais pas seulement, le nombre de chaînes de télévision s’étant lui aussi démultiplié -, ajoutée à la modification des habitudes de consommation média (à la demande, en VOD….), ont considérablement rebattu les cartes en terme d’audience.

Vivre une relation, partager son expérience

Sur ce terreau, la problématique des marques s’est donc profondément modifiée en quelques années. Il ne s’agit plus seulement de séduire, de convaincre ou de prouver mais bien d’amener le consommateur à porter son attention - ultra sélective - sur une marque, à vivre une relation avec lui, à partager des expériences. Les exemples de "brand content" ne manquent pas. Citons parmi les plus récents le forum Philips sur la plate-forme d’aufeminin.com (nouvelles possibilités d’éclairage, mise en valeur des pièces par la lumière..) ; « le Mouvement » (blog de Leclerc pour accompagner les consommateurs dans des achats moins coûteux et plus responsables) ; ABC Banque (site de la Société Générale développé avec Play Bac éditions pour aider les 6-10 ans à comprendre l’argent en s’amusant) ; la websérie d’IKEA dans le sillage de sa campagne « Njut ! » (websérie tournée en caméra cachée dans les magasins du groupe, réunissant des acteurs et des clients) ; le nouveau site Planète Energie de Total (à vocation pédagogique) ; la série « les Impertubables » de Primagaz ; Asus et son vrai-faux "portraitiste 2.0" ; ou encore, depuis quelques jours seulement, l'Ikéa Story à la station de métro Auber. Un musicien, une styliste, un sportif, une infirmière et une commerciale, recrutés via la page Facebook de la marque, sont logés dans un petit appartement transparent au cœur de la station. Ils pourront en sortir pour aller travailler, mais devront dormir et recevoir leurs amis dans cet appartement particulier. Le public pourra les observer, à la manière d’une émission de téléréalité. Juste en face se trouvera une réplique de l’appartement, où les voyageurs pourront découvrir l’ingéniosité de l’aménagement de l’espace grâce aux meubles IKEA, qui permettent à 5 personnes de vivre confortablement dans ce petit espace !

Mettre véritablement l’individu / destinataire / consommateur au centre

Indéniablement, le "brand content" intéresse les consommateurs. Il est capable d'établir ou d'enrichir la relation des marques à leurs clients, en produisant des communautés affinitaires, en offrant aux marques la possibilité d’incarner leur identité, leur histoire, leurs spécificités en termes de valeurs, d’univers et d’imaginaire tout en réhumanisant les échanges et en offrant de nouvelles expériences. Prudence toutefois car les différentes expériences récentes obtiennent des résultats contrastés et mettent en évidence une condition sine qua non du succès : le courage de renverser la perspective en mettant véritablement l’individu / destinataire / consommateur au centre. Soit en en lui procurant un "vrai plus" : une émotion, un moment exceptionnel, un service, une information. Soit en lui donnant les moyens de se valoriser dans son réseau (recommandation buzz) ou via la communauté affinitaire générée par le contenu proposé par la marque, en lui donnant les moyens de créer, ce co-créer, de co-construire. C’est l’individu qui interagit selon ses désirs et des désirs, que la marque, devenue medium, lui permet d’assouvir.

Auteur(s)
  • Fabienne Simon Chief client officer

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