Le refus d'une guerre en Irak se radicalise
De plus en plus forte, l'opposition à une intervention militaire en Irak est aussi de plus en plus ferme. Sans preuve formelle de la détention d'armes de destructions massives par l'Irak, sept Français sur dix sont favorables à l'utilisation du droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies. Cette enquête Ipsos-France 2 a servi de fil rouge à l'émission "100 minutes pour comprendre – cette guerre qu'on nous annonce" diffusée lundi soir sur France 2.
Début janvier, l'enquête Ipsos-France 2-Le Figaro révélait l'hostilité des trois quarts des Français à une intervention militaire en Irak. Aujourd'hui, c'est 87% des personnes interrogées qui s'opposent à cette intervention, soit une progression de 10 points en un mois et demi. Surtout, l'enquête Ipsos-France 2 réalisée le 15 février montre que le refus de la guerre en Irak se radicalise : 57% des interviewés (contre 42% en janvier) sont aujourd'hui "tout à fait opposés" à une intervention militaire, et 30% "plutôt opposés". "Si les éléments recueillis par les inspecteurs de l'ONU étaient jugés insuffisants pour justifier une intervention militaire en Irak", 71% de l'échantillon souhaiteraient que la France utilise son droit de veto.
Les craintes que suscitent dans l'opinion un éventuel conflit ne sont sans doute pas étrangères à l'ampleur de cette opposition. Pour une large majorité des Français, une guerre contre l'Irak entraînerait "sûrement"(52%) ou "probablement" (35%) "une recrudescence du terrorisme islamique mondial", "sûrement" (46%) ou "probablement" (37%) "une crise économique mondiale".
En France, l'opposition au conflit semble pourtant d'abord se construire par réaction à l'attitude américaine, et moins sur un scepticisme vis à vis du danger que peut représenter le régime de Saddam Hussein. Les trois quarts des interviewés hostiles à l'intervention militaire motivent leur rejet en expliquant que "la façon dont les Etats-Unis s'y prennent dans cette crise ne leur plaît pas" ; le fait que "les intérêts français ne sont pas en cause dans cette crise" ou que "Saddam Hussein ne représente pas une menace pour la sécurité internationale" sont nettement moins souvent cités (respectivement 13 et 9%).
Cette défiance à l'égard de l'Amérique se retrouve encore dans le jugement, partagé par 87% des personnes interrogées, selon lequel "l'action des Etats-Unis dans le monde, de manière générale et indépendamment de la crise irakienne, est avant tout motivée par la défense de ses propres intérêts économiques et politiques" et non "par la défense de la liberté et de la démocratie dans le monde" (10% de citations).
L'hostilité générale à la guerre manifestée par l'opinion ne signifie pas pour autant que la France doit rester totalement à l'écart du conflit si jamais il se déclenchait. Les avis concernant l'implication de la France et son degré de participation varient sensiblement selon que l'intervention militaire ait ou non reçu l'aval du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Dans le cas où les Etats-Unis se passeraient du mandat des Nations Unies, une majorité de Français (60%) considèrent que la France devrait "s'abstenir de toute participation aux opérations militaires", contre seulement 4% qui "souhaiteraient qu'elle y participe aux côtés des Etats-Unis". Entre ces deux options, une personne sur trois préférerait que la France "ne participe pas directement aux opérations militaires mais soutienne les Etats-Unis, en leur apportant, par exemple, un soutien logistique".
Si en revanche, le Conseil de Sécurité vote une intervention militaire en Irak, les Français sont plus nombreux à considérer que leur pays doit participer, au moins indirectement. Ils ne sont plus qu'un sur trois à penser que la France doit rester en dehors du conflit, contre 47% qui penchent pour un soutien logistique. Notons que même en cas de mandat de l'ONU, les partisans d'une participation française directe "aux opérations militaires aux côtés des Etats-Unis" restent très minoritaires (17%).
En privilégiant le soutien logistique en cas d'approbation par l'ONU d'une intervention militaire, la moitié des interviewés témoigne de son souci que la crise actuelle n'isole ou n'affaiblisse pas la France sur la scène internationale. Pour l'heure, on a plutôt l'impression que la posture diplomatique de la France contribue à renforcer son poids en Europe.
Les divergences entre la France et l'Allemagne d'un côté, et certains états européens comme le Royaume-Uni, l'Espagne ou l'Italie de l'autre, divisent quand même l'opinion. Pour près d'une personne sur deux (et plus particulièrement les cadres et les professions intermédiaires), ces divergences vont aboutir au "renforcement" du poids de ces deux pays. Mais un bon tiers de l'échantillon considère au contraire que "ces divergences européennes vont entraîner un affaiblissement du poids de la France et de l'Allemagne en Europe".
Ce jugement, motivé par la crainte de voir la France isolée sur la scène diplomatique, ne remet pourtant pas en cause l'action et les prises de positions de l'exécutif. "En ce qui concerne la crise irakienne", Jacques Chirac bénéficie du soutien d'une très large majorité de Français (85%), approbation aussi large chez les sympathisants de gauche que de droite.