Le vote utile, garant de l'alternance
Pierre Giacometti tire les premiers enseignements du premier tour des législatives. Les bonnes performances de l'UMP et du PS, compte-tenu du grand nombre de candidatures, annonce une nouvelle bipolarisation du système politique français, même si l'abstentionnisme, qui représente toujours le premier réservoir de vote "anti-système", fait figure de question clé pour parier sur l'avenir d'un nouvel échiquier politique.
Le premier tour des élections législatives va-t-il renvoyer aux oubliettes de la vie politique le surnom forgé par Jean-Marie Le Pen pour qualifier depuis le milieu des années 80 les principales forces de l'échiquier politique traditionnel : le RPR, l'UDF, le PC et le PS ?
La « bande des quatre » pourrait bien avoir vécu : les résultats du premier tour des législatives ont été marqués par un très net sursaut du vote favorable aux formations centrales du système politique. L'UMP et le PS ont rassemblé 57 % des voix, une performance remarquable compte tenu du nombre record des candidats enregistré pour ce scrutin.
Cette stabilité méritoire du PS, cet affaiblissement de ses alliés communistes et écologistes, conjugués au premier succès électoral de l'UMP, constituent à bien des égards les premiers signes politiques de ce que pourrait être l'émergence d'une nouvelle bipolarisation.
Bien sûr, il faut soumettre le paysage du 9 juin à l'épreuve du temps politique, notamment à travers la diversité des futures consultations électorales. Le prochain rendez-vous électoral de 2004, de type régional, apportera sans nul doute un premier élément de réponse.
Il apparaît pourtant d'ores et déjà qu'après le séisme du 21 avril, qui avait provoqué une première réplique « citoyenne » – les manifestations du 1er mai – puis une deuxième réplique civique – la mobilisation électorale du second tour –, le vote du 9 juin fait figure de réplique électorale ultime, sous les espèces d'un « vote utile », garant du système d'alternance.
L'enchaînement de ces secousses politiques renvoie finalement à un élément déclencheur : l'inversion du calendrier électoral qui a largement contribué à installer les conditions d'un retour à la logique de la Ve République. Au-delà des enjeux liés à la fin de la cohabitation, le traumatisme du vote pour « rien » du 21 avril dernier, a contribué à renforcer le réflexe d'un vote pour « quelque chose » le 9 juin. Résultat : la traduction en sièges de la stabilité en voix du Parti socialiste et la formation d'un bloc dominant à droite pourraient aboutir dimanche prochain à un phénomène inégalé dans l'histoire des élections législatives.
Sous la Ve République, il faut revenir à 1967 pour retrouver une telle situation de concentration des sièges entre deux forces. A l'époque, l'UDR et la FGDS monopolisaient 322 des 487 sièges de l'Assemblée soit 66 % des circonscriptions. Si les projections devaient se confirmer le 16 juin, deux formations de bord opposé pourraient rassembler plus de 80 % des sièges dans la future Assemblée et construire ainsi un nouvel échiquier aux contours simplifiés et contrastant avec l'habituelle diversité des courants politiques de la représentation parlementaire.
Le premier tour des élections législatives 2002 pose ainsi l'enjeu de l'avenir du système politique français. L'origine du séisme se trouve dans le record de candidatures à l'élection présidentielle, son point culminant dans l'élimination de la gauche du second tour de l'élection présidentielle. Mais cette nouvelle configuration pourrait rester sans lendemain si cette alternative politique PS/UMP ne parvenait pas à moyen terme à réintégrer progressivement et durablement les expressions diverses de mécontentement qui ont marqué de leur empreinte le comportement électoral des Français depuis l'élection présidentielle.
L'abstentionnisme représente toujours, en effet, le premier réservoir de vote anti-système et fait figure de question clé pour parier sur l'avenir d'un nouvel échiquier politique. Au-delà, pour consolider leur base électorale, PS et UMP doivent dessiner une représentation plus fidèle de la diversité de la société française : c'est la condition sine qua non de l'instauration d'un système bipolaire et pourquoi pas un jour d'un bipartisme à la française.