Les chefs d’entreprise face à l’Union pour la Méditerranée
Le 13 juillet prochain, le projet d’Union pour la Méditerranée (UPM) sera lancé lors d’un sommet à Paris. Prenant la suite du processus de Barcelone ou d’Euromed né en 1995, il suscite aujourd’hui de très fortes réactions de part et et d’autres de la Méditerranée. Pour certains, il est une utopie que le trop grand nombre de pays impliqués (39 au total), de conflits armés ou frontaliers et la nature même de certains des régimes des pays concernés, empêchent de pouvoir aboutir. Pour d’autres, l’UPM est au contraire une opportunité historique, le défi du partage de la modernité et du développement entre le nord et le sud permettant d’apporter prospérité, sécurité et stabilité à chacun d’entre eux. Mais quelles sont aujourd’hui les perceptions et les opinions des acteurs économiques sur l’UPM ? Comment réagissent-ils face à ce projet ?
Pour apporter des éléments de réponses très concrets à ces questions, l’institut IPSOS a été chargé par la CGPME, la CNCC et KPMG, dans le cadre de la manifestation Planète PME Méditerranée, de donner la parole aux décideurs économiques et plus particulièrement aux chefs d’entreprise.. 930 entrepreneurs constituant un échantillon représentatif de la population des chefs d’entreprise de 6 pays emblématiques de la future Union pour la Méditerranée ont donc été interrogés en Algérie, en Espagne, en France, en Italie, au Maroc et en Tunisie.
L’Union pour la Méditerranée, une source d’espoir et de confiance pour la très grande majorité des chefs d’entreprise du futur espace méditerranéen
Lorsque l’on demande aux entrepreneurs quels sont les sentiments qui résument le mieux leur état d’esprit lorsqu’ils pensent à l’UPM, c’est l’espoir qui est le plus cité (par presque un dirigeant sur deux, 49%), devant la confiance (39%). L’Union pour la Méditerranée suscite des évocations positives pour 8 chefs d’entreprise sur 10 (79%).
L’espoir et la confiance dominent dans la totalité des pays interrogés. Au sein des pays du Maghreb tout d’abord où les chefs d’entreprise expriment un espoir très fort (58%), plus spécifiquement en Algérie et en Tunisie (61%) mais aussi au Maroc (52%). Au sein de l’Union Européenne, les entrepreneurs interrogés se montrent eux-aussi très enthousiastes (39% ressentent de l’espoir et 30% de la confiance).
En revanche, les chefs d’entreprise français, bien que majoritairement positifs vis-à-vis de l’UPM, apparaissent aussi beaucoup plus souvent méfiants que les autres entrepreneurs (24% contre 9% pour l’ensemble).
Toutefois, il convient de souligner une nouvelle fois que l’UPM suscite globalement un très fort enthousiaste et ce, au nord comme au sud.
Pour les chefs d’entreprise, un projet autant économique que politique
La mise en place de l’Union pour la Méditerranée semble être perçue comme un « espoir » pas seulement économique mais aussi politique. La dualité du projet est très fortement soulignée par les chefs d’entreprise des pays de l’UE (68%). Elle l’est aussi au sein des pays du Maghreb. Si les chefs d’entreprise soulignent plus fréquemment que les autres qu’il s’agit d’un projet avant tout économique (39% contre seulement 8% au sein de l’UE), il n’en reste pas moins vrai que le plus grand nombre pense que c’est autant un projet économique que politique (46%), sauf en Algérie (seulement 34%).
D’ailleurs, l’enquête montre que les espoirs économiques et politiques suscités sont aujourd’hui probablement très forts. La grande majorité des chefs d’entreprise interrogés considère que l’Union pour la Méditerranée représenterait plutôt une bonne chose pour le co-développement et la coopération entre les pays concernés (86%), le maintien de la paix dans les pays méditerranéens (83%), la lutte contre le terrorisme (80%) ou encore le progrès technologique et la recherche scientifique dans leur pays (77%). Par ailleurs, la plupart considère aussi que la création de cet espace méditerranéen aurait des répercutions positives sur la création d’emplois dans leur pays (70%), la croissance des entreprises de leur secteur (67%) ou encore celle de leur entreprise (65%).
Autre illustration de la morosité actuelle des chefs d’entreprise français, ces derniers considèrent certes très majoritairement que l’Union pour la Méditerranée serait une bonne chose pour le maintien de la paix (77%), le co-développement et la coopération entre pays (70%) la lutte contre le terrorisme (80%) ou encore le progrès technologique et la recherche scientifique (62%). En revanche, ils se montrent aujourd’hui plus dubitatifs que les autres en ce qui concerne la capacité de l’UPM à agir sur la création d’emplois (seulement 35% affirment que ce serait une bonne chose, les autres considèrent que ce ne serait ni une bonne, ni une mauvaise chose), sur la croissance des entreprises de leur secteur (24% disent que ce serait une bonne chose) ou même sur celle de leur propre structure (14% estiment que ce serait une bonne chose).
Les priorités de l’Union pour la Méditerranée : d’abord l’environnement mais aussi la formation et l’approvisionnement en énergie
Disons le franchement, les espoirs suscités par la mise en place de l’UPM semblent aussi avoir généré de très fortes attentes de la part des chefs d’entreprise. Ainsi, il semble qu’en donnant la priorité au domaine environnemental et scientifique et notamment à la lutte contre les aléas climatiques ou encore à la dépollution de la mer méditerranée, les défenseurs de l’idée d’une Union pour la Méditerranée aient répondu à un désir très fort des entrepreneurs.
En effet, ils estiment aujourd’hui que l’UPM doit en priorité protéger l’environnement et promouvoir le développement durable (44%). L’amélioration de l’enseignement, de la formation et de l’adéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail arrive juste derrière (41%), devant la sécurité des approvisionnements en énergie (30%), le développement des infrastructures de transport et de communication entre les pays (26%) ou encore celui des relations commerciales entre entreprises (21%). Plus loin, on trouve le développement de l’aide à l’investissement des entreprise (15%) et la facilitation de leur mise en réseau (12%). Les attentes sont donc nombreuses et multiples. Logiquement, la hiérarchie des priorités varie d’un pays à l’autre, en fonction des spécificités de chacun.
Dans le domaine de l’entreprise, les entrepreneurs attendent d’abord que l’UPM soutienne la création d’entreprise, associe les PME aux nouvelles réglementations et procède à une harmonisation fiscale
Les attentes exprimées par les chefs d’entreprise sont là encore à la mesure de leurs espoirs. Le soutien à la création d’entreprise est la priorité la plus fréquemment citée (par 42% des dirigeants) mais l’association des PME à l’élaboration des réglementations les concernant est aussi plébiscitée et à un niveau très proche (38%), preuve peut-être d’un certain désarroi de bon nombre de dirigeants face aux législations qui sont aujourd’hui mises en place au sein de leur pays d’origine ou des espaces économiques au sein desquels ils évoluent. Viennent ensuite l’harmonisation fiscale (34%), la facilitation de l’accès au financement (29%) et le soutien à l’innovation (20%) devant la simplification de l’accès aux marchés publics et le transfert de technologie entre les pôles d’excellence et les entreprises de l’UPM (16% chacun).
Les entrepreneurs français mettent logiquement l’accent sur l’harmonisation fiscale (46%, en 1er ), tout comme les chefs d’entreprise algériens (57% - en 1er ). Les Français priorisent aussi l’association des PME à l’élaboration des réglementations (36%) ainsi que les italiens (40% - en 1er ).
Les chefs d’entreprise se montrent très partagés sur les outils à mettre en place pour accompagner la croissance des PME au sein de l’espace méditerranéen
Sur ce sujet, les différentes initiatives envisagées sont presque toutes citées à des niveaux très proches par les entrepreneurs. Ils se prononcent un peu plus souvent pour la création d’une banque méditerranéenne d’investissement (29%) mais bon nombre des dirigeants interrogés marquent une préférence pour la mise en place d’une CCI spécialement dédiée (20%). Par ailleurs, l’organisation de rencontres commerciales et de mises en réseau est citée à un niveau équivalent (19%), tout comme la mise en place d’un crédit d’assurance export (17%) et dans une moindre mesure de celle d’une haute autorité dont la vocation serait de défendre les intérêts économiques des entreprises des pays membres.
L’Union pour la Méditerranée dispose aujourd’hui d’un réel potentiel économique pour la majorité des entrepreneurs
Certes, dans le contexte actuel plutôt morose, les projets d’implantations nouvelles ou de redéploiement territorial d’activités ne sont pas vraiment à l’ordre du jour pour une très grande majorité des chefs d’entreprise interrogés au sein de l’Union Européenne (seulement 16% l’envisagent dans l’année ou d’ici 5 ans). Et encore, ce chiffre masque de très fortes différences puisqu’en réalité, seuls les dirigeants économiques espagnols se montrent encore très fortement optimistes sur le sujet (41% estiment qu’ils le feront avant 5 ans). Le « miracle » espagnol perdurerait-il ? Difficile de répondre, en revanche, la France et l’Italie affichent un très fort pessimisme. Seulement 5% des chefs d’entreprises français et 2% des italiens se montrent aussi
« positifs » que les espagnols. De l’autre côté de la méditerranée, les entrepreneurs se montrent beaucoup plus optimistes puisque 53% d’entre eux estiment qu’un redéploiement de leur activité ou des implantations nouvelles auront lieu d’ici 5 ans pour leur entreprise. Mieux, 22% pensent qu’elles interviendront dans l’année qui vient. Là encore on note de fortes différences en fonction des pays. Les entrepreneurs algériens se montrent plus optimistes que les marocains et surtout que les tunisiens.
Il n’empêche, une part importante des chefs d’entreprise envisageant des implantations nouvelles, affirment qu’elles se feront ailleurs que dans leur pays et au sein de l’Union pour la Méditerranée (37%). Sur l’ensemble des chefs d’entreprise interrogés, 17% d’entre eux affirment vouloir s’implanter au sein de l’espace méditerranéen. La proportion est loin d’être négligeable.
Aux dires des entrepreneurs, la mise en place effective de l’Union pour la Méditerranée pourrait gonfler fortement le potentiel de son espace. De fait, 75% des personnes interrogées considèrent que cela les inciterait à établir un partenariat privilégié avec des entreprises implantées dans d’autres pays de l’UPM. Par ailleurs, plus d’un dirigeant sur deux estime aussi que la création de l’Union pour la Méditerranée le pousserait à installer tout ou partie de son activité dans un autre pays de l’Union pour la Méditerranée.
La France est aujourd’hui considérée comme le pays le plus attractif de la zone Méditerranée par les chefs d’entreprise
A l’heure où les entrepreneurs français expriment une réelle morosité notamment par rapport à l’ensemble des chefs d’entreprise interrogés dans les 6 pays de l’enquête, il semble toutefois important de dire que l’attractivité de l’hexagone est aujourd’hui un fait acquis. S’ils devaient installer tout ou partie de leur activité dans un autre pays de l’Union pour la Méditerranée, c’est la France qu’ils choisiraient en premier (21%). Auprès des patrons ayant prévu de réaliser des redéploiements, l’engouement est encore plus élevé puisque la France est citée par 29% d’entre eux. Elle est citée en 1er par l’ensemble des pays, sauf par l’Italie (où elle arrive en 2ème position, derrière l’Espagne). La taille est toutefois un critère clivant : la France intéresse surtout les plus petites structures de 1 à 50 salariés, les autres lui préfèrent plus souvent le Maroc. Le secteur de l’industrie affiche quant à lui une réelle préférence pour l’Algérie, la présence de matières premières explique très certainement ce choix pour une bonne part.
L’Union pour la Méditerranée, une opportunité pour une plus grande transparence et une meilleure sécurisation financière
aujourd’hui le plus souvent que les moyens mis en œuvre pour garantir la transparence financière sont globalement insuffisants (51% contre 45% qui soutiennent l’opinion inverse). Logiquement, ils estiment massivement que la certification des comptes de l’entreprise de leur client ou de leur fournisseur est un gage de crédibilité important pour développer leurs échanges commerciaux de façon plus sûre (83% dont 47% disent même que cela est tout à fait le cas). Sur ce sujet, les patrons des pays de l’UE et du Maghreb se rejoignent et affichent une belle unanimité quant à leur attachement à la certification des comptes. La taille de l’entreprise et le secteur d’activité ne jouent pas non plus et l’intérêt d’un tel contrôle est perçu dans toutes les entreprises, des plus modestes aux plus importantes.
Face aux incertitudes concernant la sécurisation des échanges, les patrons approuvent massivement les mesures susceptibles de sécuriser les échanges. Ils considèrent notamment que le développement de la certification des comptes serait efficace (91%). Parmi eux, 63% pensent même qu’elle le serait
« certainement ». De la même façon, la mise en place d’une norme comptable unique pour les entreprises implantées au sein de l’Union pour la Méditerranée fait aussi l’objet d’un très fort assentiment puisque là encore la quasi-totalité des entrepreneurs interrogés estiment qu’elle aurait un impact positif sur la sécurisation des échanges (97% dont 63% pensent que cette mesure serait
« certainement » efficace). La quasi-unanimité est là aussi tout à fait remarquable et montre à quel point ces mesures rencontrent aujourd’hui l’agrément de la population des chefs d’entreprise.
La mise en place de l’Union pour la Méditerranée est justement perçue par les entrepreneurs comme une chance qui pourrait permettre à leur pays de mettre davantage de moyens au service non seulement de la transparence financière (87% dont 58% pensent que ça le serait « certainement ») mais aussi de la certification des comptes (83% dont 52% considèrent que ce serait « tout à fait » le cas). Là encore, il convient de souligner l’homogénéité des opinions des chefs d’entreprise et ce, quel que soit le secteur d’activité ou la taille de l’entreprise. Seule la France se montre un peu plus modérée en ce qui concerne l’impact de la création de l’espace méditerranéen sur la certification des comptes (65% pensent qu’il serait positif)
Fiche technique :
ENQUETE EFFECTUEE POUR : CGPME / Compagnie Nationale des Commissaires aux comptes / KPMG
DATES DE TERRAIN : Du 14 avril au 5 mai 2008 dans 6 pays : Algérie, Espagne, France, Italie, Maroc, Tunisie
ECHANTILLONS : 933 chefs d’entreprises de 1 à 250 salariés dans les secteurs de l’industrie, du commerce, des services et de la construction.
METHODE : Téléphone
Méthode des quotas raisonnés. Echantillon représentatif de la population des chefs d’entreprise de chacun des pays (taille de l’entreprise et secteur d’activité)