Les raisons du soutien des Français à Lionel Jospin
Selon une enquête Ipsos pour 'l’Evénement du Jeudi', la popularité du premier ministre s’explique d’abord par les déficiences de l’opposition et la bonne conjoncture économique. La politique gouvernementale et l’image personnelle de Jospin sont moins souvent citées par les personnes interrogées.
Tout ou presque a été dit sur le mouvement de soutien dont est créditée l’action du gouvernement depuis les élections législatives de juin 1997. La plupart des observateurs continuent à s’interroger sur la pérennité du phénomène et sur les facteurs qui pourraient, tôt ou tard le remettre en cause. Dernière pièce à verser au dossier : l’analyse des Français eux-mêmes, leur point de vue sur le " miroir " qu’ils contribuent à fabriquer, mois après mois, si décisif sur l’évolution du climat politique. Les résultats de l’enquête réalisée par Ipsos pour L’Evénement du Jeudi indiquent la variété et l’ampleur du désaccord lorsque l’on tente de hiérarchiser leurs explications sur la cote de la gauche plurielle.
Pour éclairer les sondages d’aujourd’hui nous disposons tous dans notre jeu - les " observateurs " mais aussi tous les Français - d’au moins quatre cartes : " le Moi " (c’est la personnalité de Jospin qui est motrice), " le travail d’équipe " (la dynamique et le positionnement gouvernemental), " les autres " (c’est le vide d’opposition qui par effet de contraste crédite le rival), et " la météo " (la conjoncture économique qui pèse tant sur le moral des Français). De ces quatre cartes proposées aux personnes interrogées, aucune ne s’impose vraiment. Preuve de leur volonté de retenue et distance par rapport au climat politique du moment, une majorité de Français opte pour l’explication du soutien par défaut : l’absence d’alternative, nettement privilégiée par les sympathisants RPR-UDF, et une météo économique plus clémente sont les facteurs d’explication les plus souvent cités. Ces résultats confirment les interrogations qui pèsent sur la force d’attraction et de séduction de la majorité et de son principal protagoniste.
Au sein de l’électorat de gauche, il est frappant de constater qu’à peine un électeur sur deux explique la réussite actuelle par un discours positif sur l’action collective de l’équipe gouvernementale ou le talent personnel de son leader. Tout semble se passer comme si une part de ces jugements tempérés et prudents s’appuyaient sur des souvenirs conscients ou inconscients de ce qu’est la fragilité intrinsèque des situations politiques.
En réalité, le mérite de Lionel Jospin est d’être parvenu en seize mois d’action à ne jamais transformer l’une de ces quatre cartes en un handicap majeur. Tel n’était pas le cas de son prédécesseur. Comme dans un jeu de mikado, le mauvais déplacement de l’un de ces quatre paramètres a des conséquences sur les autres. En ce sens, la stratégie jospinienne consistant à préserver son capital de popularité est avant tout " défensive ". La rareté des interventions médiatiques en est l’une des illustrations.
Dans une cohabitation longue et imprévisible, une période nouvelle de carence de popularité pour le Premier ministre aurait des effets considérables sur le climat politique. En ce sens, l’impopularité éventuelle de Jospin - le moment à laquelle elle interviendra et sa durée - sera peut-être plus décisive que sa popularité actuelle. Elle conduit probablement certains de ses proches à envisager favorablement le scénario d’un départ de Matignon avant l’échéance présidentielle.
Le soutien exprimé par une majorité de Français à l’action du gouvernement de gauche ne constitue pas une garantie d’assurance-vie contre les échecs électoraux. Comme dans une longue série de matches amicaux, la gauche plurielle accumule aujourd’hui les satisfecit d’opinion. On ne doit pas en minimiser l’importance car l’inverse est, on le sait, plus délicat à gérer, sportivement et politiquement ! Mais le retour des compétitions électorales majeures atténuera de manière significative l’impact de ce contexte de popularité. Elle effacera en partie une partie du discrédit de l’actuelle opposition, comme jadis la dissolution permit de remettre en selle la capacité d’attraction de l’alternance socialiste. Dans une phase très incertaine du contexte économique international, il apparaît bien risqué de faire le seul pari du soutien de la conjoncture. C’est donc bien sur les deux cartes de l’action et de l’image que Lionel Jospin peut se constituer un héritage sérieux pour les années à venir. Les Français, sceptiques par nature sur les mérites personnels des responsables politiques, ont peut-être tendance à sous-estimer la personnalité du Premier ministre comme cause d’explication de la situation politique actuelle. Lionel Jospin, au delà du contexte et des variables exogènes, a aujourd’hui acquis une dimension politique personnelle. Sa fragilité est évidente. Pourtant, elle restera à terme un paramètre décisif pour faire face à la cruelle et croissante instabilité des comportements électoraux. Le déséquilibre de l’affrontement politique actuel entre la gauche plurielle et l’opposition ne doit pas conduire à négliger l’incertitude qui régnera encore dans les années à venir sur le rapport de forces électoral entre la gauche et la droite, comme en témoignent les deux derniers scrutins de 1997 et 1998.
Dans ce contexte, l’état du capital d’image de Lionel Jospin sera décisif au moment où les Français seront tentés, comme si souvent depuis vingt ans, de refuser leur confiance à leur Premier ministre lors d’élections présidentielle ou législatives.
Très logiquement c’est l’attitude de prudence qui caractérise, dans l’enquête Ipsos, le pronostic des Français sur l’avenir politique de l’ancien candidat du PS à l’élection présidentielle de 1995. Certes ils pensent majoritairement que le destin " jospinien " est bien présidentiel, mais plus de la moitié d’entre eux n’en sont pas certains, y compris parmi l’électorat socialiste. Pour mener à bien ce parcours, le conseil dominant rejoint le positionnement actuel de l’hôte de Matignon : " ni plus ni moins à gauche ". L’avis favorable d’une majorité de Français (63% de proches du PS et 32% du PC ! !) pour une stratégie politique inscrite dans le continuité, dépourvue de grand changement de cap dans les années à venir, constitue une nouvelle preuve du pragmatisme d’opinion que cette enquête révèle. Tirant les conséquences de la modeste capacité créatrice des familles politiques de gauche et de droite, les Français expriment également dans ce résultat leurs difficultés à identifier des alternatives nouvelles et crédibles à la ligne actuelle du gouvernement Jospin.