Les salariés français se prononcent massivement pour le respect de la loi Evin en entreprise
La loi Evin du 10 janvier 1991 avait marqué un tournant dans la lutte contre le tabagisme en France, en interdisant notamment de faire de la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, et de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif. Elle concernait donc au premier chef les entreprises. Quatorze ans plus tard, les choses ont beaucoup changé, mais les conflits se multiplient entre employeurs et employés excédés par le non-respect de la loi. A tel point que le 29 juin 2005, un arrêt de la Cour de Cassation a mis les entreprises face à leurs responsabilités, en signifiant que l'employeur a " une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l'entreprise ". Elles doivent ainsi non seulement interdire le tabagisme sur leurs sites, mais encore faire le nécessaire pour que cette obligation soit respectée.L'enquête conduite par Ipsos pour Pfizer confirme nettement que ces évolutions juridiques vont dans le sens de l'évolution des mentalités des salariés.
Respect de la loi Evin : peut mieux faire
Le tabac en entreprise est aujourd'hui un véritable sujet d'inquiétude pour les salariés âgés de 18 à 65 ans. A la quasi-unanimité (93%), ils déclarent en effet que le fait de travailler dans un environnement avec de la fumée de tabac présente un risque important pour la santé des non-fumeurs, dont 40% jugent même que ce risque est " très important ". En revanche, seulement 6% jugent que ce risque n'est pas important.
Pourtant, la cigarette reste encore largement tolérée sur le lieu de travail : de fait, seuls un peu plus des trois quart des salariés français (78%) affirment que la loi Evin est respectée dans leur entreprise, c'est-à-dire qu'il y est interdit de fumer. Parmi eux, 55% déclarent qu'on peut fumer dans des endroits réservés. Seuls 23% des salariés déclarent que la législation est strictement appliquée, et qu'il est interdit de fumer sur tout le site.
Plus inquiétant en revanche, 21% affirment qu'il n'est pas interdit de fumer sur leur lieu de travail, en violation de la loi de 1991. Certaines catégories de la population sont plus touchées par le non respect de la législation sur le tabac : les hommes (24% contre 18% pour les femmes), les plus jeunes (23% pour les moins de 40 ans, un chiffre qui atteint 29% pour les 18-29 ans, contre 19% pour les 40 ans et plus) ; les ouvriers (31% contre 11% pour les cadres). De plus, moins on gagne, plus on est exposé (36% pour les revenus nets mensuels du foyer de moins de 1000 euros, contre 15% pour les revenus de 3000 euros et plus), et parallèlement, moins on a de diplômes, moins on travaille sur un site où l'interdiction est respectée (34% pour les personnes sans diplômes contre 16% pour les personnes ayant au moins bac+3).
En réalité, le risque d'exposition au tabac en entreprise est donc étroitement lié à la catégorie socio-professionnelle du répondant. Peut-être aussi ces personnes travaillent-elles moins souvent dans une grande multinationale, dont on sait qu'elles appliquent bien l'interdiction, mais plutôt dans une PME, où elle est en général moins respectée.
Pour 82% des salariés, cette interdiction est bien appliquée dans leur entreprise. Ce chiffre encourageant cache néanmoins une réalité plus mitigée : pour 31% d'entre eux, elle est seulement " plutôt bien " appliquée. Ainsi, seuls 52% des salariés français, soit à peine plus d'un salarié sur deux, déclarent que l'interdiction est " très bien " appliquée, ce qui devrait aujourd'hui juridiquement être le cas. L'enquête montre par ailleurs qu'il y a un lien, non pas entre l'interdiction et le fait de fumer en soi, mais entre son respect et la quantité de cigarettes fumées quotidiennement par les répondants. En effet, si 18% des salariés affirment que cette interdiction est mal respectée dans leur entreprise, ce chiffre passe à 30% pour les fumeurs occasionnels (ceux qui ne fument pas tous les jours), et il atteint 24% pour les gros fumeurs (plus de 20 cigarettes par jour). Même s'il convient d'être réservé, car on raisonne sur des bases faibles, ceci laisse à penser que la mauvaise application de la loi Evin en entreprise encourage la surconsommation pour ceux qui ont déjà tendance à beaucoup fumer, et " la cigarette occasionnelle ", de détente après un coup de stress, ou quand on discute autour avec ses collègues autour d'un café.
Une responsabilité qui incombe largement aux employeurs…
Alors, à qui la faute si la loi n'est toujours que partiellement appliquée ? Le jugement des salariés français est sans appel : 78% pensent que les employeurs devraient garantir un environnement de travail sans fumée de tabac pour tous leurs employés, et plus de la moitié des personnes interrogées, soit 56%, considèrent même qu'il devraient " tout à fait " le faire, ce qui est le signe d'une adhésion très forte à ce principe. A l'inverse, seulement 20% des Français pensent que cette responsabilité n'incombe pas à l'employeur.
Le contexte de travail n'est d'ailleurs pas une excuse : pour les salariés français, cette obligation existe aussi, quasiment au même niveau (75%) pour les employeurs des entreprises de restauration, hôtels, bars, cafés ou discothèques (dont 49% de tout à fait). Signe encore plus marqué du rejet de la cigarette dans les lieux publics, 73% des personnes interrogées jugent que les employeurs des entreprises de restauration, hôtels, bars, cafés ou discothèques ont la même obligation vis-à-vis de leurs consommateurs (dont 46% qui déclarent que c'est tout à fait le cas).
Au final, 89% des personnes interrogées ont répondu au moins une fois oui à l'une de ces trois questions, et près des deux tiers (61%) répondent affirmativement aux trois, c'est-à-dire qu'elles pensent à la fois que les employeurs doivent faire respecter la loi Evin vis-à-vis de tous leurs salariés, et que les entreprises de l'hôtellerie-restauration ont la même obligation non seulement à l'égard de leurs employés, mais encore de leurs consommateurs. Ainsi, le tabac est aujourd'hui massivement rejeté par les salariés dans les lieux publics, quelle que soit la raison invoquée, et qu'on soit sur un lieu de travail ou un lieu de détente.
Certaines catégories sont plus radicales que d'autres. Moins on fume, plus on pense que les employeurs doivent faire respecter les obligations qui leur reviennent (77% des non-fumeurs répondent oui aux trois questions, contre 35% des fumeurs). Plus on a de diplômes, plus on est catégorique (71% répondent oui aux trois questions chez les bac+3 et plus, contre 42% pour les sans diplôme). C'est également le cas des salariés des entreprises publiques (64% contre 59% pour ceux qui travaillent dans une entreprise privée), et les plus âgés (62% chez les plus de 40 ans, contre 60% pour les moins de 40 ans).
Ce jugement est loin d'être neutre pour les entreprises qui n'appliquent pas la loi Evin. En effet, 80% des salariés français déclarent préférer travailler dans une entreprise qui garantit un environnement sans fumée de cigarette pour tous ses employés, et 55% d'entre eux le pensent " tout à fait ". C'est dire qu'ils pourraient être prêts à refuser un emploi pour ce motif. Plus dangereux pour les entreprises peu scrupuleuses, elles risquent de s'aliéner la main d'œuvre la plus qualifiée : en effet, les bac+3 et plus sont 83% à préférer une entreprise sans tabac, contre 80% pour l'ensemble.
… mais également aux médecins du travail
En revanche, les salariés français reconnaissent la difficulté pratique des employeurs à faire appliquer correctement la loi Evin. Si le oui l'emporte, le jugement est assez partagé : 57% pensent que toutes les entreprises ont aujourd'hui la capacité, matérielle et/ou financière, de mettre en place un environnement de travail sans fumée de tabac. Parmi eux, seul un tiers (36%) considère qu'ils en ont " tout à fait " la capacité. A l'inverse, 42% pensent que les entreprises n'ont pas les moyens de faire respecter l'interdiction, et parmi eux, 16% considèrent qu'elles n'en ont pas du tout la capacité.
Alors, si le tabac est clairement nocif, à l'évidence pour les fumeurs, mais également pour les non-fumeurs, si tout le monde ne peut pas l'éviter sur le lieu de travail, et si les entreprises n'ont qu'une capacité matérielle et financière limitée pour faire respecter la loi Evin, qui peut réellement faire quelque chose ? Pour les salariés, les médecins du travail constituent un relais essentiel de la lutte contre le tabagisme en entreprise.
Pour 87% des Français salariés, les médecins du travail devraient pouvoir accompagner tous les fumeurs souhaitant s'arrêter de fumer, et plus des 2/3 des personnes interrogées (67%) le pensent " tout à fait ". Ce chiffre est encore plus important parmi les catégories les plus favorables au strict respect de la législation : les femmes (90% contre 85% pour les hommes), les plus de 40 ans (90% contre 85% pour les plus jeunes), et les non-fumeurs (88% contre 86% pour les fumeurs).
Plus précisément, les médecins du travail, qui ne sont pas autorisés pour le moment à prescrire des médicaments d'aide au sevrage tabagique, devraient avoir le droit de le faire selon 81% des salariés, dont 60% qui jugent qu'ils doivent " tout à fait " en avoir l'autorisation. Finalement, pour faire respecter au mieux la loi Evin, la solution passe, pour les salariés, par la diminution du tabagisme lui-même, notamment dans les entreprises, ce qui constitue également par ailleurs, un véritable enjeu de santé publique.