L’innovation cultive l’esprit de famille

La famille est le territoire de consommation et d’échange par excellence. La cellule familiale favorise-t-elle l’innovation pour autant ? A quels conservatismes se heurtent marketeurs et fabricants ? Quelles sont au contraire les pistes à creuser, les opportunités en fonction des âges ? Karen Gombault, Directeur Général, Ipsos Marketing InnoQuest (le département dédié à l’innovation et la prévision des ventes), nous livre quelques réflexions.

Y-a-t-il des membres de la famille qui stimulent davantage l’innovation que d’autres ?

Oui, mais des membres dans un contexte spécifique. On observe des ciblages assez précis qui correspondent en fait à des moments de vie dans les familles. Si l’on raisonne en cycles de vie, on constate un changement dans la façon dont les industriels innovent à partir de 12-13 ans, donc à l’entrée au collège, puis entre 16 et 18 ans, quand les jeunes commencent à disposer d’un pouvoir d’achat plus attitré et enfin quand ils deviennent étudiants, alors qu’ils s’affirment encore plus autonomes psychiquement et pécuniairement.

Dans quel sens vont les nouveautés qu’on propose aux plus jeunes ?

Chez eux, on voit bien que le rôle joué par les parents, en particulier la mère, est extrêmement important. Il faut plaire aux enfants, bien sûr, mais il faut aussi rassurer les parents. Ce sont des choses que nous testons très régulièrement, en nous adressant différemment à chacune de ces deux cibles conjointes. On se situe vraiment sur le terrain émotionnel pour ce qui est de l’enfant. La mère, quant à elle, a besoin d’éléments beaucoup plus concrets : des informations et bénéfices nutritionnels qui vont soutenir les promesses. Donc pour cette tranche d’âge 6-13 ans, c’est le couple mère-enfant qui intéresse les études marketing.

Et lorsque l’on bascule dans l’adolescence, ce rôle du parent tend-t-il au contraire à s’estomper ?

Là, c’est surtout l’influence des amis qui stimule le plus l’envie d’essayer un nouveau produit. Le fameux word-of-mouth. Le rôle sélectif ou prescripteur des parents tend à disparaître ou en tout cas, il est moins présent. Ce sont toujours les parents qui achètent une bonne partie des biens et des équipements, donc on ne peut pas les ignorer. Ce qui compte, c’est d’abord ce qu’en pensent les copains, ce qu’ils suggèrent. En intégrant bien évidemment les « amis » de Facebook, ceux que l’on ne rencontre pas nécessairement au collège mais dans les réseaux sociaux. Il y a ensuite une autre étape aux alentours des 16-18 ans, où l’on constate une amplification du phénomène.

Donc là, les fabricants ont tout intérêt à être actif…

C’est extrêmement intéressant pour les marketeurs et les industriels dans la mesure où l’on a là une vraie fenêtre d’opportunités pour créer de nouvelles marques et nouveaux produits. Auparavant, l’exercice est beaucoup plus compliqué parce que, comme je le disais, il est nécessaire d’avoir la caution parentale, maternelle surtout. D’autre part, les enfants sont plutôt conservateurs dans leurs goûts. Dès lors chez les 6-13 ans, on a plutôt affaire à des extensions de gammes. Le plus souvent, les fabricants appuient alors sur des lignes de produits que les enfants connaissent déjà. Ensuite, en grandissant, les choses changent. Le champ de l’innovation s’ouvre vraiment. Yop en est un des meilleurs exemples. Je pense aussi à Red Bull, une boisson énergisante lancée en 1987 ciblant les jeunes consommateurs avec le sponsoring d’associations étudiantes, et les emblématiques Wing teams. Il y a des choses plus récentes comme Fantasia une nouvelle marque de Danone avec un pot bi-compartiment, yaourt d’un côté et billes choco, crispy ou crème caramel. Là, on a une innovation pensée à l’origine pour faire revenir les ados aux produits laitiers. Dans la tendance snacking qui est une énorme opportunité pour les industriels, on a des choses comme Milka Snax ou comme Milka Philadelphia, une pâte à tartiner à base du fromage frais et du fameux chocolat au lait des Alpes. Là, on innove pour créer de nouveaux usages chez cette cible jeune plus réceptive et moins « cornaquée » que les enfants.

Y a-t-il des interactions entre les 13-18 ans et leurs parents ?

Oui, parents et enfants participent aux décisions d’achat. On constate même qu’ils s’influencent de plus en plus mutuellement. Du reste, le marketing « familial » vise plus que jamais à réconcilier parents et enfants. La consommation est un lieu de consensus pour la famille. L’aspect multi-générationnels n’est pas exclu. C’est ce que l’on constate dans le développement de produits familiaux. De fait, non seulement les enfants veulent rapidement faire comme les grands, mais les adultes eux aussi aiment consommer à l’identique de leurs progéniture ! Des moments de partage créent des liens importants, surtout au moment de l’adolescence quand ils ont tendance à s’affirmer.

Faut-il pour autant aller vers une « générisation » de l’offre ?

Je ne crois pas car les jeunes aiment quand ça s’adresse d’abord à eux. Et je voudrais souligner, pour revenir au lien entre innovation et cible jeune, à quel point le challenge est élevé pour les marques. Les choses peuvent aussi facilement décoller que rester dans les starting-blocks. Il reste beaucoup de travail à faire pour trouver la façon dont on va rester engagé avec ces cibles-là. Internet a, bien sûr, un rôle très important à jouer, mais il n’y a pas de solution miracle. Une chose est sûre, c’est un moment clé pour les marques parce que c’est dans ces cycles de vie-là, dès l’adolescence notamment, que l’on commence à forger ses propres choix et, en général, quand le produit ou la marque plaisent, on y reste extrêmement fidèle longtemps.

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