Marques et politique, quelles différences, quels points communs, quels enseignements retenir ?
Lors de la conférence Ipsos L’avenir des marques : dégagisme ou reconnaissance de leur engagement, Brice Teinturier (Ipsos) a animé un débat avec Sébastien Missoffe (Google), Dominique Busso (Forbes) et Bertrand Cizeau (Hello Bank!). Ils ont exposé leurs réflexions sur les enjeux des marques face à la pression du dégagisme et les solutions possibles.
En 2017 et en 2022, le Parti socialiste et Les Républicains ont été profondément rejetés par les électeurs. Ce phénomène de dégagisme peut-il venir bousculer la sphère économique et s’appliquer aux marques ? Les individus qui aspirent à donner du sens à leur consommation se détournent-ils d’elles, quand ils estiment que les marques ne participent pas ou mal aux efforts de transition socio-écologique ? Comment peuvent-elles éviter d’être dégagées à leur tour ?
Marché politique vs marché économique
Trois différences principales…
Il est tout d’abord utile de rappeler en quoi le marché politique est différent du marché économique, explique Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos en France. La politique a pour finalité première, à travers la représentation, de transformer une multitude d’individus en une société qui s’accepte en tant que telle et d’éviter l’anomie. Tel n’est pas le cas des entreprises. Par ailleurs, en droit, la sphère politique est légitime pour couvrir un spectre extrêmement large de domaines (fiscalité, transports, sécurité…), quitte à ce que cette intervention soit large ou limitée suivant qu’on est dans un Etat libéral ou socialiste. Pour les entreprises, certains domaines d’action posent la question de leur légitimité à s’en emparer. Enfin, la logique de choix et la temporalité ne sont pas les mêmes : un consommateur déçu peut jeter le produit qu’il a acheté. Un élu l’est pour plusieurs années...
… mais une similitude sur la pression du dégagisme
« Deux crises se sont combinées et ont abouti au dégagisme en politique. Tout d’abord, une crise du résultat, les alternances produisant de la déception au fur et à mesure que gauche et droite ne parvenaient pas à endiguer les grands problèmes de la société – chômage, pouvoir d’achat, etc. Ensuite, une crise de la représentation, plus de 70% des Français ayant le sentiment que leurs idées ne sont pas correctement représentées. » Leçon à retenir : une marque qui ne répond plus aux besoins des consommateurs et/ou qui donne le sentiment de ne plus le comprendre ou le monde dans lequel il vit peut effectivement être balayée.
Vigilance et anticipation pour ne pas dégager
Se remettre en question et innover
Les marques doivent constamment s’interroger sur la pertinence de leurs stratégies de développement. Même un géant d’internet comme Google se montre vigilant. « Les nouveaux usages du web générèrent toujours plus de concurrence, comme le fait de visiter directement les sites marchands, plutôt que d’effectuer des requêtes, énonce Sébastien Missoffe, VP et directeur général France de Google. Nous investissons donc massivement dans la R & D pour résister au mieux. »
Devancer les consommateurs de demain
Afin d’éviter une crise de la représentation, il est important pour les marques de cibler également leurs prochains publics. Le magazine économique américain Forbes a lancé ses classements 30 Under 30 distinguant des entrepreneurs de moins de 30 ans, pour « justement rajeunir nos audiences », selon Dominique Busso, directeur général de Forbes France.
Quand les marques prennent le relais des politiques : opportunité ou piège ?
La contribution au bien commun, nouveau critère de satisfaction
À travers leurs stratégies RSE, les marques commerciales pallient-elles les manques des politiques ? « Les entreprises ne sont pas là pour sauver le monde, mais pour faire du commerce avant tout, tranche Bertrand Cizeau, directeur général de Hello bank!. Ce qui change par contre, ce sont les règles du jeu : la contribution des entreprises au bien commun fait maintenant partie des critères de satisfaction des consommateurs, à côté du prix et de la qualité des produits ou services. »
La cause à défendre, le complément indispensable de la raison d’être
Dans ce nouveau paradigme, les marques sont attendues sur la crédibilité de leur engagement autour d’une cause. « L’essentiel est de faire son métier aux avant-postes de la transition sociétale, pour favoriser son accélération, poursuit Bertrand Cizeau. Transiter vers des modes de production vertueux n’est pas une cause, mais la raison d’être de l’entreprise, aujourd’hui. La cause sur laquelle elle s’engage doit en être le complément vital, sinon les consommateurs perçoivent la démarche comme insincère et il y a rejet potentiel ! »
Pour se préserver de tout dégagisme, les marques ne doivent pas prétendre changer le monde, mais leur monde. Si elles capitalisent sur leurs savoir-faire pour accorder leur croissance à la transition socio-écologique, elles pourront vraisemblablement garder la préférence des consommateurs.