Présidentielle US : Bush donné favori à plus de deux contre un
Les dernières enquêtes d'opinion publiées outre-Atlantique depuis le jour de l'élection présidentielle montrent que les Américains prennent leur mal en patience, mais pensent que Bush va gagner. Ils sont par ailleurs prêts à remettre en cause la loi électorale qui rend possible l'élection d'un président majoritaire au collège électoral mais minoritaire au scrutin populaire.
Qui sera le 43ème président des Etats-Unis ? Une semaine jour pour jour après le scrutin, personne n'est encore capable de répondre à cette question. Le résultat final sera connu, au mieux, vendredi 17 novembre, date limite de réception des votes par correspondance des expatriés originaires de Floride. Pour le moment encore, la pression de l'opinion publique n'est pas insupportable. Selon l'étude publiée par l'hebdomadaire Newsweek (1), la majorité des Américains estime qu'il est préférable de "s'assurer de la justesse et de la précision du décompte des voix" (72%) plutôt que de "connaître le nom du futur président le plus vite possible" (25%). Point trop n'en faut tout de même : si les différentes actions en justice engagées par les Démocrates ou les Républicains peuvent encore différer l'échéance, ils ne sont qu'une minorité à être prêts à attendre le déroulement d'un procès (36%) ; 17% estiment plutôt que Bush et Gore devront considérer les résultats de Floride comme définitifs "dès la fin du nouveau décompte", et 44% jugent qu'il faut attendre "le dépouillement des voix des expatriés". Cette tendance est confirmée par l'enquête de l'institut Gallup (2), selon laquelle Gore devrait, pour la majorité des Américains "reconnaître sa défaite si le recompte des voix et la prise en compte du vote des expatriés originaires de Floride" le donnait perdant (59%), contre 38% qui jugent plutôt que Gore devrait encore attendre "les résultats des enquêtes sur la régularité du scrutin."La date critique pour rendre les résultats du vote dans les différents Etats a été atteinte hier. Selon la secrétaire de l'Etat de Floride Katherine Harris, Bush mènerait toujours dans cet Etat, mais son avance ne serait plus que de 300 voix. Mme Harris a donné une demi-journée de délai aux différents comtés pour qu'ils justifient un recompte manuel des voix, lequel pouvant prendre plusieurs jours. De leur côté, les Républicains estiment que ce recompte n'est pas nécessaire, et qu'il faut considérer comme définitifs les résultats connus. Evidemment, les Démocrates ne sont majoritairement pas du même avis.
Pour le moment donc, personne ne sait quand le résultat définitif sera établi. Plus d'un Américain sur deux est favorable au "recompte manuel des votes dans certains comtés" (55%, contre 42% qui s'y opposent, selon Gallup). En revanche, l'opinion est nettement plus divisée quant à l'éventualité d'une nouvelle élection dans le comté de Palm Beach, ou le type de bulletins de vote utilisé aurait induit en erreur plusieurs milliers de personnes. Selon 57% des personnes interrogées par Gallup, les autorités doivent se tenir au recomptage des voix, alors que 40% préféreraient la tenue d'un nouveau scrutin. Lorsque Newsweek interroge les Américains en leur précisant dans l'intitulé de la question les erreurs qu'auraient pu faire certains électeurs en se prononçant pour Buchanan au lieu de Gore, les avis sont toutefois plus partagés : 48% estiment que le comté tout entier doit retourner aux urnes, alors que 46% estiment que ce problème de bulletins n'est pas suffisamment important pour requérir un nouveau scrutin.
Les problèmes liés au décompte des voix ont sans aucun doute jeté un voile de suspicion sur le scrutin, pour une partie de l'opinion tout du moins. Même si pour près d'une personne sur deux, le décompte a été "juste et honnête" (48%, de source NBC (3)), 44% des interviewés, majoritairement démocrates, l'ont estimé peu rigoureux. La majorité des Américains ne considère toutefois pas que la démocratie ait été bafouée. L'incertitude sur l'issue du vote en Floride et le délai pour connaître qui a gagné l'élection est plutôt, pour plus des deux tiers des personnes interrogées par Newsweek "un signe de bonne santé pour la démocratie, tant on prend le temps nécessaire pour être sûr du candidat déclaré vainqueur dans une élection aussi serrée " (69%).
Pour près du quart des interviewés en revanche, ce délai est plutôt le signe d'un "dysfonctionnement du système politique" (24%). L'étude Gallup montre encore que la majorité considère que le cours des évènements depuis le jour de l'élection est un "problème majeur" pour le pays (49%), une minorité parle même de "crise constitutionnelle" (15%). Les autres estiment soit que le problème est mineur (25%), soit qu'il n'existe pas (9%).
Le seul résultat dont on est aujourd'hui sûr est la victoire de Gore du point de vue du vote populaire. Quelle que soit l'issue du vote de Floride, le leader démocrate disposera au final d'une avance sur le plan national d'environ 200 000 voix sur son rival républicain. Le système du collège électoral américain rend ainsi possible l'élection d'un président minoritaire dans le scrutin populaire mais majoritaire au collège électoral; cela est arrivé en 1876 et 1888, et risque de se reproduire si George W. Bush emporte finalement le soutien des 25 grands électeurs de Floride.
Ce cas de figure pose incontestablement problème aux Américains. Une majorité est en effet aujourd'hui prête à soutenir un amendement de la constitution visant à désigner comme président le vainqueur du scrutin populaire et à abandonner le système des grands électeurs. Selon les quatre études réalisées depuis le 7 novembre, le soutien au scrutin populaire varie de 57 à 63% alors qu'une minorité d'environ un tiers reste favorable au système des grands électeurs. Un changement du système électoral est toutefois peu probable. Eric Dupin rappelle en effet, dans sa revue de presse internationale sur le site de Libération (4), que "la réforme constitutionnelle qu'implique une modification du système électoral doit être ratifiée par les trois-quarts des Etats de l'Union. On imagine mal les Etats les moins peuplés approuver une réforme amenuisant leur propre pouvoir".Par ailleurs, les Américains ne remettraient pas en cause la légitimité de George W. Bush en tant que président s'il était élu en étant minoritaire au scrutin populaire et majoritaire chez les grands électeurs. Dans ce cas de figure, Bush serait tout de même pour plus des deux tiers des Américains un leader national efficace ("an effective national leader") selon Newsweek. Sa victoire serait légitime pour 59% des personnes interrogées par CNN (5), et près des trois quarts des interviewés de NBC estiment que cette situation n'affecterait pas sa capacité de gouverner.
Même plongés dans le doute, les Américains ont leur petite idée sur l'identité de leur futur Président. Au jeu des pronostics, G. W.Bush part largement favori. Plus de deux personnes sur trois s'attendent à sa victoire (69%, contre 19% qui prévoient la victoire de Gore selon CNN) ; même les partisans de Gore sont relativement pessimistes quant à ses chances de victoire, un sur deux pronostiquant son adversaire comme le futur président des Etats-Unis. Sur les souhaits de victoire en revanche, l'opinion publique est toujours aussi partagée (44% pour chacun des deux candidats). On retrouve là le clivage qui a prévalu tout au long de la campagne électorale, où les partisans des Républicains et des Démocrates formaient deux camps d'égale importance.
Les grands perdants de cette élection seront finalement peut-être les médias, discrédités par leurs annonces quelque peu hâtives pendant la soirée électorale. Les télévisions, sans doute poussées par le challenge d'être les premières à diffuser le résultat, ont en effet interprété les sondages sortis des urnes, qui donnaient pourtant les deux candidats si proches qu'aucun pronostic n'était raisonnablement possible. Elles ont ainsi annoncé Gore comme gagnant probable dans un premier temps, puis Bush comme gagnant certain, avant de se rétracter dans un plus prudent "too close to call" (trop serré pour se prononcer). Plus d'une personne sur deux désapprouvent aujourd'hui leur attitude (55%, enquête CNN), 57% jugent qu'ils ne devraient pas se risquer à des pronostics (contre 37% qui estiment que c'est juste un incident isolé). Selon CNN, 79% des Américains qualifient même les médias "d'irresponsables". Ces derniers auront donc sans doute fort à faire pour regagner une certaine crédibilité.
(1) Enquête Newsweek / Princeton Survey Research Associates, réalisé les 9 et 10 novembre 2000 auprès d'un échantillon aléatoire de 1000 adultes américains.
(2) Enquête Gallup : 1014 Américains de plus de 18 ans interrogés par téléphone les 11 et 12 novembre 2000.
(3) Sondage NBC News / Peter Hart et Robert Teeter. 505 adultes Américains interrogés le 8 novembre 2000.
(4) Les hyper-nouvelles de la planète, la revue de presse internationale d'Eric Dupin publiée sur Libération.com porte cette semaine sur l'élection présidentielle américaine: l'heure des comptes pour la démocratie américaine
(5) Enquête CNN / Time / Yankelovich Partners réalisée le 10 novembre auprès de 1154 adultes américains.