Primaire PS : ne tirez pas sur les sondages !

Dans une tribune parue dans le Nouvel Observateur du mercredi 14 septembre que nous reproduisons, Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos France, répond aux interrogations et critiques formulées ces derniers jours à propos des sondages d'intentions de vote à  la primaire du Parti Socialiste pour la Présidentielle de 2012. Qu'elles portent sur la structure, la taille de l'échantillon, le niveau de participation ou le caractère prétendument « insondable » de l'élection, ces interrogations, souvent légitimes, témoignent cependant de beaucoup de confusion ou de méconnaissance.

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)
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C’est devenu un rituel. Chaque élection voit fleurir, s’agissant des sondages, ses vociférateurs à petits calculs et ceux qui, en toute sincérité, s’interrogent sur la validité de l’instrument. A fortiori dans un scrutin nouveau comme celui des primaires. Tentons de mettre un peu de calme et de raison dans un débat surchauffé.

« Les sondages sur les primaires ne sont pas possibles car on ne sait pas qui va aller voter » : c’est l’argument le plus entendu…et le plus inepte. Depuis qu’ils existent, les sondages servent précisément à mesurer le taux de pénétration d’une population que l’on ne connaît pas, à cerner son profil, ses valeurs et ses comportements. La technique, ancienne et largement éprouvée, consiste à partir d’un échantillon représentatif plus large et à poser une question filtre permettant d’identifier la sous population que l’on cherche à connaître. En l’occurrence, le scrutin des primaires étant ouvert à l’ensemble des Français, on part d’un échantillon national représentatif de la population française et l’on demande à chaque personne si elle est prête à adhérer à la charte des valeurs de la gauche, à payer au moins un euro et si oui, à participer au vote des primaires. On pose ensuite à ces dernières les questions que l’on souhaite. Naturellement, la méthode est raffinée pour ne retenir que ceux qui, en plus de vouloir et de pouvoir, sont les plus déterminés à aller voter.  Signalons enfin que cette méthode est la même que celle utilisée pour les intentions de vote nationales : la question filtre est alors « êtes vous inscrits sur les listes électorales ». Il n’y a donc là rien de radicalement différent.

« Les sondages sur les primaires annoncent un taux de participants démesuré. Ils ne peuvent donc pas être justes » : la prémisse est juste mais la conclusion erronée ! Il est exact de dire que les sondages surestiment le nombre d’électeurs potentiels, tout simplement parce que les électeurs eux-mêmes, quelle que soit l’élection, sur-déclarent leur participation. Et contrairement aux élections nationales, nous n’avons pas une banque de données et des modèles de correction permettant d’estimer combien véritablement de Français voteront aux primaires. Cela rend-il pour autant l’instrument inopérant sur le vote recueilli – ce qui est différent de la participation ? Pas vraiment, sauf à présumer que ceux qui n’iraient finalement pas voter seraient systématiquement et radicalement différents de ceux qui iront. Or, on ne voit pas pourquoi il en serait ainsi. Mais surtout, le sondeur se trouve là face à la même difficulté que lors de chaque élection potentiellement abstentionniste – et non pas face à un cas radicalement nouveau. A chaque élection, le risque d’une déformation de l’échantillon qui va finalement voter par rapport à celui qui indiquait qu’il le ferait existe. C’était le cas, par exemple, aux dernières européennes et aux régionales. Sans que l’instrument ait failli.

« Les sondages primaires ne marchent pas. La preuve, ils se sont totalement trompés sur la primaire des verts » : L’affirmation laisse pantois : absolument aucun sondage n’a été réalisé lors de la primaire des Verts par un quelconque institut de sondages, puisque cette primaire était réservée à des adhérents et que personne n’avait accès à leur fichier !   

« Les échantillons sont trop petits ». Objection retenue ! En partant d’un échantillon de 4.000 Français, Ipsos a pu travailler sur un peu plus de 400 personnes (et non 200, comme certains le prétendent) déclarant être absolument certaines d’aller voter. C’est déjà beaucoup et beaucoup plus que tout ce qui avait été fait mais les marges d’erreur continuent de s’appliquer et il faut le rappeler.

Il est donc possible, et heureux pour la liberté de l’information, de faire des sondages de bonne qualité auprès des électeurs potentiels des primaires socialistes. Est-ce à dire que le résultat est gravé dans le marbre ? Bien évidemment non. D’une part, parce que la campagne bat son plein et que rien n’est à ce jour définitivement cristallisé. D’autre part et surtout, parce que dans un vote à l’intérieur d’une même famille politique, la fluidité politique est plus importante que jamais. Nuls doutes que les choses vont donc encore évoluer et qu’il y aura des surprises. Point n’est besoin pour autant de casser un instrument qui reste précieux.

Voir aussi : la dernière vague du baromètre d'intention de vote à la primaire du Parti Socialiste Ipsos/Logica Business Consulting

Auteur(s)
  • Brice Teinturier Directeur Général Délégué France, Ipsos (@BriceTeinturier)

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