Pubs aromatisées à la famille
La famille du XXIe siècle a beaucoup changé. Nous assistons aujourd’hui à un reformatage ou à une diversification des modèles familiaux. La pub en est un excellent reflet. La mise en scène de la famille est-elle pour autant l’arme fatale en publicité ? C’est un puissant outil, oui, mais à manier avec doigté, comme nous l’explique Laurent Leconte, Directeur de département, Ipsos ASI.
Le Palmarès Ipsos de la pub 2012 a souligné l’émergence de « héros » ordinaires. La famille en publicité est-elle représentative de ce courant ?
La famille est un des lieux par excellence où vivent les « vrais gens ». C’est aussi un territoire privilégié de consommation et d’échange. Voilà pourquoi la cellule familiale intéresse autant la publicité qui l’utilise de différentes manières, de la plus classique à la plus décalée. Dans la plupart des cas, l’efficacité est au rendez-vous comme le montrent les études que nous réalisons. C’est du reste l’un des principaux atouts du ressort familial en publicité que de fédérer des consommateurs aux âges et aux goûts différents et de permettre ainsi une identification. La famille parle à la majorité des Français dans leur quotidien.
Ces quotidiens sont-ils toujours les mêmes en fonction des différents schémas familiaux ?
Dans la famille « idéale », qui réunit le père, la mère et les deux enfants (idéalement un garçon et une fille), on partage des moments de complicité. Cette image classique est utilisée en publicité principalement par les marques de produits de grande consommation. Elle permet au plus grand nombre de se projeter. C’est la fameuse famille Ricoré. C’est aussi la pub Nutella qui vous souhaite « un joyeux petit déjeuner en famille pour le plus beau matin de l’année ». Aujourd’hui toutefois, on voit apparaître des familles jusqu’alors oubliées de l’espace public, des exemples moins consensuels mais tout aussi réels. C’est ce que l’on pourrait appeler la « famille défaillante », comme dans ce spot de Bonduelle, où là, au contraire, ce sont les difficultés rencontrées qui permettent une identification forte des consommateurs potentiels.
Famille recomposée, monoparentalité, homoparentalité… Que dit la pub ?
La publicité n’a-t-elle pas tendance à caricaturer les membres de la famille et à exacerber les relations familiales ?
Bien employée, la caricature peut être un bon levier créatif. Elle pose aussi des limites à l’identification. Ce que l’on voit surtout, c’est une tendance à l’inversion des rôles avec, par exemple, des enfants qui ramènent les parents dans le droit chemin. C’est tout à fait cette publicité de Renault où un adolescent s’occupe de préparer le repas et tente de faire passer ses parents à table. L’ado est représenté comme un individu tout puissant, voire tyrannique. Illustration dans cette pub SFR Neufbox où l’on voit une ado en pleine crise de nerf (« carrément vous »). Le père, quant à lui, apparaît souvent dépassé voire risible, comme dans la pub « Les décisions » du Crédit Mutuel. La mère, de son côté, ressemble plutôt à une superwoman, capable de gérer ses vies familiale et professionnelle. Et les bébés sont des surdoués aux compétences linguistiques et cognitives supérieures leur permettant de ridiculiser les grands ! Voyez « Parlons bébé » des Laboratoires Guigoz.
Mais d’une manière générale, on constate que le poids institutionnel de la famille diminue au profit d’une dimension plus relationnelle. Plutôt que de la représenter dans son ensemble, la pub se focalise de plus en plus sur la relation entre ses membres. Cette représentation permet d’entrer dans la complicité, en mettant en scène des individualités au lieu de rôles. C’est ce que réussit très bien ce spot de Renault pour la Twingo 3 dans lequel une mère arbore le même tatouage que sa fille. C’est aussi ce que réalise Le Comptoir des Cotonniers qui a même été jusqu’à recruter des acteurs non professionnels, mère et fille, sur Internet. Un manière d’impliquer encore plus le consommateur lambda et d’aborder de façon plus optimiste la question inter générationnelle.
Jusqu’où peut-on bousculer les schémas traditionnels ?
La publicité, si elle n’est pas acteur du changement, reflète l’air du temps. Et ne peut que s’inspirer des évolutions qui touchent la famille. Le père travailleur, la mère maîtresse de maison et les enfants obéissants, de préférence un garçon et une fille, ne sont plus uniquement ceux que l’on croise dans la vraie vie. On parle désormais autant de famille recomposée, de monoparentalité, d’homoparentalité. Tout dépend alors de comment la marque veut - et peut - se positionner à l’instar de cette campagne affiche et presse magazine pour Eram où une petite fille déclare : « Comme disent mes deux mamans, la famille c'est sacré ». On aime ou on n’aime pas. La marque assume. Elle a ce côté provoc’ qui l‘y autorise. C’est parfois plus délicat comme lorsque McDonald's choisi de mettre en scène un adolescent gay et son père. On y retrouve la signature (« venez comme vous êtes ») d’une marque moderne et familiale. Mais il ne suffit pas d’entériner la mutation du schéma familial d'aujourd'hui. C’est aussi affaire de tempo. Sans doute aurait-ce été plus facile d’y aller une fois entendue la prise de position du président Obama sur le sujet. Voilà qui nous rappelle que les publicitaires ne sont pas en mesure de créer ou d’instaurer ces modèles.
Le temps de cerveau disponible est devenu encore plus cher qu’avant !
Concrètement, si demain un annonceur vient vous voir et vous dit : « voilà, on voudrait aller vers cet axe là, l’homoparentalité ». Vous dîtes feu vert feu rouge ?
Nous allons tester l’idée sans aucun à priori, en nous demandant notamment si la marque peut se permettre cela. Ne risque-t-elle pas de choquer ses consommateurs et d’écorner son image ? ou, au contraire, sa campagne est-elle pertinente, donne de l’impact brut à la pub et apporte un plus à la marque ? C’est aux marques de se trouver là-dessus. C’est à elles d’aller voir si elles sont légitimes sur le sujet. Mais attention à ne pas franchir la ligne blanche.
La télévision reste-t-elle LE média de la famille ?
Elle continue de fédérer les membres du foyer. Chez les enfants, elle demeure le média n°1 (10h10 d’écoute hebdomadaire pour les 7-12 ans, pour 4h50 passées sur le Web *). Mais le média n’est pas une clé d’entrée. Une bonne idée va bien vivre partout, aussi bien en télé, qu’en digital, en presse, en affichage, en in-store, sur le pack. Il ne faut pas envisager un média concurrent des autres. Pas plus que la publicité n’a de parti pris sur la famille mais l’accepte comme elle est. Si l’idée est bonne, si le discours est légitime, la campagne va se sentir bien partout. C’est aussi une affaire de clarté et de lisibilité pour des consommateurs diversement réceptifs. Vous avez, par exemple, de plus en plus d’ados capables d’échanger des sms en même temps qu’ils font leurs devoirs et regardent la télé. Si vous tentez d’aller le chercher avec des choses un peu trop tarabiscotées, ça ne marche pas. Avec le multitasking, le temps de cerveau disponible est devenu encore plus cher qu’avant !
Chaque média n’a-t-il pas son langage propre néanmoins ?
Internet est un média conversationnel, expérientiel, où l’on peut s’autoriser davantage de choses, c’est vrai. Et l’on peut compter sur la dose de créativité, d’humour ou de causticité des agences interactives « pure players » ! Du reste, le film SFR « La crise » a démarré sur la Toile. Mais on peut considérer qu’en général une bonne idée va passer assez naturellement d’un média à l’autre. Voyez la campagne Contrex qui a démarré en télé et qui s’est ensuite diffusée en digital dans le monde entier ! C’est la force de la « big idea ». C’est d’elle que naissent d’abord les grandes campagnes. Il ne faut pas focaliser sur le fait familial. Pour la publicité, la famille est avant tout un territoire de consommation et d’expression éminent. C’est une opportunité de communication, un outil puissant.
* Source : Junior Connect’, Ipsos MediaCT 2012
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