Scènes de ménage
Il semble encore loin l’âge (d’or ?) qui verra les femmes et les hommes égaux face au tuyau d’aspirateur ou à la pile de vaisselle. C’est ce que confirme Etienne Mercier, Directeur Adjoint du département Opinion Ipsos Public Affairs et fin connaisseur des habitudes des Français sur la question de la répartition des tâches ménagères.
Vous procédez depuis plusieurs années à l’observation des habitudes des Français en matière de tâches ménagères. Vous vous apprêtez d’ailleurs à relancer l’enquête Mapa-Spontex. Diriez-vous que sur ce plan, et de manière plus générale, les femmes ont fait du chemin ?
Les statistiques actuelles montrent que les femmes sont de plus en plus présentes dans différents domaines de la vie sociale. Elles obtiennent plus fréquemment des diplômes que les hommes. Par un engagement accru dans la vie professionnelle, elles deviennent des acteurs économiques à part entière. Malgré tout, le processus de féminisation n’est pas univoque et l’évolution du statut social des femmes s’avère même contradictoire. Les nouveaux droits qu’elles ont conquis ne peuvent pas masquer les résistances et les obstacles qui jalonnent toujours les différentes étapes de leur existence. Une discrimination des sexes dans la société continue même de s’exprimer très clairement. Leur progression spectaculaire à l’école et dans l’emploi salarié ne veut pas dire qu’il y a mixité. Le prisme de la répartition des tâches ménagères est de ce point de vue intéressant car on voit bien là que l’inégalité est toujours très présente malgré les apparences et un apparent investissement des hommes dans ce domaine.
Les hommes n’ont-il vraiment pas progressé dans l’art de manier l’éponge ou le balai-brosse ?
Ils déclarent s’investir de plus en plus dans les tâches ménagères. Leur vision est assez faussée. Ce qui est vrai, c’est qu’ils font des choses et parce qu’ils les font, ils ont le sentiment qu’il y a un partage. Ce n’est pas du tout le cas. Dans les faits, on constate toujours de très importants décalages entre ce que ces messieurs affirment faire et ce que les femmes observent de leur côté. L’image sociale telle qu’elle se traduit dans les médias, en particulier à travers la publicité rend très bien compte de cette réalité. On a toujours le personnage traditionnel de la mère de famille qui vante les mérites des produits d’entretien, des aliments ou des appareils ménagers. Le modèle persiste même si les publicitaires s’emploient à « masculiniser » les relations domestiques. Toutefois, ce qu’ils nous montrent le plus souvent, ce sont des maris modèles qui ne sont pas à la mesure de leur tâche. Heureusement, la femme est là.
Finalement, qu’est-ce qui change ?
On s’aperçoit que la répartition des taches ménagères devient de plus en plus une source de conflits au sein des couples. Ces prises de bec sont beaucoup plus fréquentes chez les jeunes couples. La moitié d’entre eux avouent que c’est une source de tension. Voilà le signe que les femmes cherchent à obtenir une répartition plus équitable des tâches. Et pour elles, il y a urgence : elles travaillent, elles revendiquent l’accès à des loisirs propres, elles veulent pouvoir voir leurs amis. La tension monte. Les choses risquent toutefois d’être beaucoup plus difficiles qu’elles ne l’ont été pour leurs mères dans la mesure où les hommes idéalisent leur investissement dans les tâches ménagères. Ils en font plus que leurs pères mais c’est encore très insuffisant. Les chiffres montrent que nous sommes encore très loin d’une répartition équilibrée.
Le conservatisme en la matière est-il uniquement masculin ?
Certainement pas. Nos travaux confirment la réalité des phénomènes déjà observés par des sociologues comme François de Singly. Paradoxalement, vous avez une proportion de la population féminine qui semble elle-même faire obstacle à un rééquilibrage de la répartition des tâches ménagères au sein du foyer. Près de 2 femmes sur 10 considèrent ainsi que ce n’est pas le rôle d’un homme de faire le ménage.
N’est-ce pas plutôt le fait de couples plus âgés ?
Pas seulement, c’est aussi le cas chez les plus jeunes. Chez les plus âgés, j’ai envie de dire que les choses sont réglées. La guerre des Roses n’aura pas lieu. Ce peut être une source de tensions voire de conflits mais il est clair que ni les hommes ni les femmes ne reviendront sur cet « acquis ». C’est auprès des plus jeunes que les choses bougent. Ce qui n’empêche pas, je le redis, d’être un sujet très compliqué à faire évoluer pour les femmes. Pourquoi ? Parce qu’il y a 30 ans, ce qui était en cause, c’était la capacité même des hommes à s’impliquer dans les tâches ménagères. Aujourd’hui, ils ont le sentiment d’être impliqués. Ils le sont du reste sur les activités les moins rébarbatives comme vider la poubelle. Mais lorsque vous les interrogez sur le repassage ou le nettoyage des sanitaires, là, de leur propre aveu, ce sont les femmes qui s’en chargent.