Ségolène Royal rejoue l'opinion contre le parti
Pierre Giacometti tire les enseignements du second tour de la présidentielle dans l'émission C dans l'air d'Yves Calvi sur France 5. Retranscription de ses interventions.
Vote d'adhésion
Rarement on n'a vu telle contradiction de l'adage "au premier tour on choisit, au second tour on élimine". La moitié des électeurs de Ségolène Royal justifient leur vote par la volonté de barrer la route au candidat de l'UMP. A ce titre, le "Tout Sauf Sarkozy" est resté malgré tout présent dans l'opinion. Mais à l'inverse, lorsqu'on regarde les motivations de l'électorat de Nicolas Sarkozy, on a d'abord un vote d'adhésion dans plus de 70% des cas : pour une fois au second tour, on a choisit. C'est assez étonnant si l'on considère que Nicolas Sarkozy a dit au cours des derniers mois une série de choses qui n'étaient pas de nature à susciter l'adhésion : remise en cause des régimes spéciaux, réduction du nombre de fonctionnaires, mettre à mal l'esprit de mai 68... Plus que sur les propositions, on a l'impression que ce vote d'adhésion s'est forgé sur la clarté du discours et la fermeté des positions. On a d'ailleurs constaté que l'autre règle, d'un changement de discours entre-les deux tours pour rassembler un électorat plus large, n'a pas non plus été appliquée par Nicolas Sarkozy : ses électeurs ont peut-être apprécié qu'il tienne sa ligne directrice, ligne un peu plus confuse dans le camp socialiste.
Dynamique favorable à la droite pour les législatives
Tout ce qui a été dit pendant la campagne ne va pas se mettre en route pendant les trois semaines entre le 21 mai, date probable du début du travail gouvernemental, et le premier tour des législatives. Pour autant, ces trois semaines seront très importantes compte tenu du mot d'ordre de campagne de Nicolas Sarkozy, "tout dire avant pour tout faire après". Une scène très courte va se jouer, dans laquelle l'architecte Nicolas Sarkozy va mettre sur la table les plans de la maison France. Les discussions vont alors s'engager – sur la justesse du projet, l'équipe, le fonctionnement, la cohérence avec ce qui avait été promis etc. Pour l'UMP, la campagne législative en sera d'autant plus facile à dynamiser. Les députés de la majorité disposent déjà de la prime aux sortants, Nicolas Sarkozy leur donne en plus un bonus pour incarner le changement. C'est une situation très favorable, et il faudra beaucoup de cohésion entre tous les opposants pour empêcher la dynamique de se créer, ou de s'amplifier.
Ségolène Royal rejoue l'opinion contre le parti
Le 6 mai à 20h02, Ségolène Royal a de nouveau décidé de jouer la bataille de l'opinion. Alors qu'en 2002 le visage de la gauche défaite est incarné par Lionel Jospin décidant d'abandonner la politique, elle est apparue radieuse, délivrant bien que sévèrement battue un double message : 1. Je reste et 2., de manière un peu subliminale comme pour faire passer l'info aux éléphants : "ce n'est pas de ma faute, j'ai fait ce que je pouvais / le Parti Socialiste ne m'a pas aidé, cela fait cinq ans qu'ils n'ont pas trouvé les bonnes solutions pour proposer une alternative / j'ai fini par y aller parce qu'il fallait bien que quelqu'un y aille, avec un certain crédit / dans les semaines qui viennent je vais vous démontrer, je vais démontrer aux Français que mon échec (qui reste un échec personnel puisque c'est l'élection présidentielle), n'est pas véritablement le mien mais celui d'une collectivité qui n'a pas su se transformer assez vite pour gagner l'élection présidentielle."
Elle va à nouveau jouer l'opinion contre le parti. Pour elle, l'enjeu numéro un est de faire comprendre à l'opinion qu'elle n'a pas démérité, qu'elle a réussi là où Lionel Jospin avait échoué - se qualifier pour le second tour. Elle tente de convaincre qu'elle a eu à faire face à un Nicolas Sarkozy mais aussi derrière lui aux puissances de l'argent, des médias, accessoirement aussi des instituts de sondage puisque ça a été la critique de la fin de la semaine dernière. Et d'expliquer que malgré toute cette pression elle va continuer le combat et préparer l'élection présidentielle de 2012, puisque que ce sera de toute façon difficile pour les législatives. Ségolène Royal cherche à nouveau à se positionner dans l'opinion, et singulièrement l'opinion socialiste, comme celle qui incarne le changement, "la candidate", appuyée en cela par le manque d'alternative au PS. On l'a vu hier, ce n'est pas forcément évident pour Dominique Strauss-Kahn d'incarner le recours, Laurent Fabius souffre toujours d'un déficit d'image dans l'opinion, François Hollande n'a pas une position très facile. Ségolène Royal a compris que Nicolas Sarkozy a réussi en s'appuyant comme un leader sur la durée –cinq ans – elle cherche à s'imposer au lendemain des législatives grâce au soutien de l'opinion. Ce n'est pas gagné, on va voir comment l'opinion réagit, mais il se joue là quelque chose d'important pour elle comme pour le parti socialiste.