« Sucrez-moi ces pubs ! »
La ministre de la santé, Roselyne Bachelot, a émis le vœu de supprimer les publicités pour les produits gras et sucrés pendant les programmes télévisés pour enfants et ados de moins de seize ans, afin de lutter contre l’obésité infantile dans le cadre du deuxième Plan National Nutrition Santé. La ministre s’est même déclarée prêtre à « proposer des mesures législatives d’interdiction ». Alors que le lien entre obésité infantile et publicité revient à l’ordre du jour, Benoit Tranzer, Directeur Général d’Ipsos ASI, livre son analyse sur ce phénomène et ses répercussions.
On est foutu, on mange trop. La faute de la pub ?
Benoit Tranzer :. « Nous ne pouvons pas ne pas être sensible au problème de l’obésité qui gagne notre pays ; pour autant je trouve un peu facile de mettre les problèmes de malbouffe sur le dos de la pub. De même que les entreprises de l’alimentation et la grande distribution ne peuvent être rendues responsables à elles seules de l'obésité. Sont aussi en cause l’évolution des habitudes alimentaires, des modes de vie, la sédentarité, l’éducation et le rôle des parents… Si l’on prend la télé, les « grands » ne sont-ils pas un peu responsables de ce que regardent les « petits » ? »
Peut-on nier pour autant l'impact de la publicité ?
B. T. : « l’impact de la publicité est évidemment réel mais les pouvoirs publics et certaines associations de consommateurs ne sont pas les seuls à s’en soucier. L’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) revendique elle-même une implication de longue date sur la question de la publicité sur les écrans jeunesse. La ministre de la santé reconnaît d’ailleurs l’engagement des marques et leur rôle de partenaires de santé publique. Déjà en 2004, des industriels comme Ferrero ont décidé de cesser les publicités à destination des enfants, suivis en 2006 par le Syndicat du chocolat qui a retiré ses publicités des programmes pour enfants. La même année, Coca-Cola a abandonné ses pubs pour ses boissons ciblant les moins de 12 ans. Vous avez plus récemment l’exemple de douze grands groupes agroalimentaires (Danone, Mars, etc.) réunis dans une plateforme européenne baptisée EU Pledge, qui se sont engagés à mettre en œuvre d’ici à janvier 2009 une interdiction totale ou partielle de leurs publicités destinées aux moins de 12 ans. »
« La pub et les marques ont le dos large »
Trouveriez-vous normal que certains aliments se voient privés de pub pendant les émissions jeunesse ?
B.T. : « Autant j’estime que les pouvoirs publics sont dans leur rôle quand ils obligent les industriels du secteur agro-alimentaire à accompagner leurs publicités de mentions légales - c’est le cas depuis le 1er mars 2007 avec des messages sanitaires comme le fameux "Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » -, ou tout récemment avec l’instauration par Roselyne Bachelot d’un Observatoire de la qualité alimentaire (Oqali). Autant je trouve qu’ils vont trop loin quand ils envisagent d’interdire aux marques de communiquer sous prétexte que les consommateurs ne sont pas responsables. On pourrait tout aussi bien stopper la diffusion des programmes jeunesse pour que les enfants regardent moins la télé. Pourquoi pas aussi laisser aux pouvoirs publics le soin d’organiser les linéaires de la grande distribution ? »
Vous préférez donc l’autorégulation à l’option législative ?
B.T. : « Les professionnels de l’agroalimentaire sont des gens responsables. La nutrition fait d’autant plus partie de leurs priorités aujourd’hui que les consommateurs français sont de plus en plus conscients du lien entre leurs pratiques alimentaires et l’état de leur santé. Aussi quand l’ANIA édite fin 2006 un guide des bonnes pratiques de communication nutritionnelle, il s’agit bien de concilier la liberté d'expression publicitaire et le respect des consommateurs. De même lorsque le Bureau de Vérification de la Publicité (BVP) énonce en 2004 des recommandations sur le sujet, il invite les professionnels au même « sens de l’autodiscipline » que celui professé récemment par la ministre de la santé. Le BVP insiste alors sur « le maintien d’un équilibre entre créativité et responsabilité » et parle « d’autorégulation concertée avec un travail mené en coopération plus étroite avec les parties prenantes et les pouvoirs publics. »
« Pour l’autodiscipline publicitaire et le volontariat des entreprises »
Qui paierait le prix de telles mesures ?
B. T. : « Ce serait surtout un coup très dur pour les chaînes thématiques jeunesse dont on sait bien que la publicité est le moteur. De fait, les producteurs d'animations se font aussi beaucoup de soucis car moins de pub, c'est moins de commandes de la part des diffuseurs. Du côté du public, cela signifierait une réduction de l’offre à terme. »
La publicité ne peut-elle tout de même pas profiter de ce débat pour évoluer ?
B. T. : « La publicité se doit d’être très soucieuse des effets qu’elle engendre et donc adapter, évoluer pour éviter d’encourager des phénomènes graves. Cela démontre son rôle central aujourd’hui et de la même manière que les industriels ont anticipé ces phénomènes par l’innovation avec tous les produits qui vont dans un sens de plus grande santé publique, les discours publicitaires se doivent d’être de plus en plus clairs sur les bénéfices des produits et de moins en moins trompeurs. »