Syrie : le point de bascule français
Les Français sont aujourd’hui majoritairement opposés à la participation de la France à une intervention militaire en Syrie, y compris si celle-ci se fait sous l’égide de l’ONU. Ce jugement peut naturellement évoluer et on a vu au moment de la Lybie une opinion dans un premier temps rétive basculer assez rapidement et soutenir la participation française aux opérations menées. De même et plus récemment, les Français ont approuvé l’intervention française au Mali alors que notre armée était non seulement engagée physiquement mais également pratiquement seule sur le terrain. Tel n’est pas le cas avec la Syrie et cela peut sembler mystérieux tant nous sommes a priori confrontés à une évidence et à une exigence bien plus forte encore que dans les précédents conflits : un dirigeant qui n’hésite pas à gazer sa population civile et des êtres humains. De quoi cette évolution est-elle donc le signe ?
Examinons tout d’abord le point de vue des minoritaires, qui pèsent 40 à 45% selon les enquêtes. Ils sont sensibles à 3 arguments :
- Agir – et pas seulement condamner moralement – pour montrer que notre pays considère comme inacceptable qu’un dirigeant puisse gazer des êtres humains en toute impunité. Le terme « punir », employé par la diplomatie française, peut gêner par un certain nombre de connotations associées mais il n’en est pas moins approprié. Il signifie très simplement, très réellement et très justement sanctionner pour éviter la reconduction du délit. Soit l’on considère que gazer sa population est inacceptable et l’on met donc la force au service du droit, soit l’on considère, quelles qu’en soient les raisons, que l’on « peut faire avec », regarder ailleurs, temporiser ou s’en remettre à d’autres solutions.
- Au-delà de la morale et des valeurs, l’intervention est également nécessaire aux yeux de ses partisans pour envoyer un message à tous les chefs d’Etat qui seraient tentés d’utiliser ce type d’armes dans le monde. Il en va donc de la crédibilité et de l’intérêt de tous les pays qui, comme la France, considèrent que la prolifération d’armes de destruction massives et d’armes chimiques est un danger pour la sécurité du monde et leur propre sécurité.
- Enfin, le sentiment qu’il est nécessaire de montrer à une puissance telle que l’Iran et son programme nucléaire que des règles doivent être observées, ou à la Russie qu’elle ne peut pas perpétuellement faire le jeu de régimes d’oppression, joue également mais moins fortement.
Pour les opposants à une intervention militaire, 3 considérations l’emportent :
- Tout d’abord, la crainte d’une augmentation de l’islamisme radical dans le monde et de représailles terroristes en France.
- Ensuite, le coût financier pour notre pays d’une telle participation.
- Enfin, l’idée que la France ne doit pas contribuer seule avec les Etats-Unis à la sécurité du Monde.
Ces arguments ou interrogations sont parfaitement compréhensibles. Ils sont d’ailleurs également partagés par nombre de partisans d’une participation de la France à une intervention militaire en Syrie. Le point essentiel, ce qui fait la bascule du jugement final, est cependant que chez les opposants à une intervention en Syrie, ils prennent le pas sur tous les autres arguments. En conséquence et pour le dire clairement, factuellement, la peur de représailles et de courant islamistes renforcés d’une part, le portefeuille d’autre part, sont donc des valeurs plus importantes aujourd’hui que la nécessité de punir un régime qui gaze des populations civiles. Il s’y ajoute une autre dimension : la tentation isolationniste. Or, pendant des siècles, la France a considéré, a tort ou à raison, qu’elle avait un message et un rôle spécifique dans le monde, dans la diffusion et la défense notamment de valeurs fondamentales. Cela ne semble plus être le cas et cela constitue tout autant une bifurcation essentielle qu’un point d’arrivée.
Si l’opinion Française en est majoritairement là, c’est en effet parce qu’elle considère qu’il n’y a dans ce conflit non pas des « bons » opposés à des « méchants », comme c’était le cas en Lybie et au Mali, mais uniquement des méchants. La tentation est alors grande de vouloir les « laisser s’entretuer », tout simplement. Ce cynisme à la petite semaine, dans lequel toute hiérarchie des faits et des valeurs est abolie, s’enracine également dans un phénomène de plus en plus important : l’oublie. Malgré des informations parfaitement disponibles et données par les media depuis plusieurs années, on oublie que si la composante islamiste de l’opposition à Bachar Al Assad est indéniable et a peu de choses à envier en férocité à ce dictateur, elle n’était pas majoritaire il y a encore ne serait-ce que 2 ans. C’est l’inaction et la passivité internationale qui ont progressivement affaibli les mouvements laïques et démocratiques de l’opposition et nourrit la propagande djihadiste. Ne rien faire, puis constater la progression de « l’islamisme », puis s’appuyer sur cette progression pour justifier de ne rien faire, tel est le cercle vicieux qui s’est instauré.
Le souvenir déformé de la Lybie joue également dans l’idée qu’intervenir favorise la mise en place de régimes « pire qu’avant ». Là encore, la mémoire défaille et on oublie combien le régime de Khadafi était non seulement d’une totale férocité à l’égard de ses minorités internes mais également, qu’il a financé et formé pendant des décennies de multiples organisations terroristes en Europe et en Afrique, provoquant attentats meurtriers et déstabilisations de multiples régimes.
Enfin, si l’opinion publique française en est là, c’est naturellement aussi parce que la crise économique, combinée au processus multiséculaire d’individualisation, aiguise la dureté des temps et favorise le repli. Il est donc tout à fait exact qu’une intervention à un coût. Mais si ce coût est perçu comme prohibitif pour justifier la défense de valeurs dites fondamentales, c’est qu’un point de bascule est atteint.
Selon l’évolution des opinions sur la Syrie, et naturellement de la situation elle-même, nous aurons donc l’occasion de vérifier si la France se souhaite pour elle-même un autre chemin, ou pas, que celle d’un destin à la Suisse.