XIème forum de Canal Ipsos, avec Dominique Strauss-Kahn
Décrypter l'état de la société française et les attentes des Français, mesurer l'impact de l'actualité politique, économique et sociale, comprendre l'évolution des comportements et des attitudes : pour analyser et débattre du climat d'opinion en France, Ipsos, en partenariat avec Europe 1, a créé les Forums de Canal Ipsos. Pierre Giacometti, directeur général d'Ipsos, a invité Eric Dupin, journaliste et essayiste, et Dominique Strauss-Kahn, député-maire de Sarcelles, à débattre sur fond de données d'opinion. Au sommaire de cette onzième édition : l'image dans l'opinion des juges et de la justice, sur fond "d'affaire Juppé" les Régionales 2004, avec la publication d'une première mesure d'intentions de vote l'Europe, et la montée sensible en France de l'euroscepticisme la gauche et le PS face à l'opinion
Sommaire
- Les Français, les juges et les affaires
- Les élections régionales
- L'Europe face à la montée de "l'euroscepticisme"
- Le PS face à l'opinion
Cette XIème édition des forums de Canal Ipsos s'est déroulé au lendemain de l'intervention d'Alain Juppé au 20 heures de TF1, où il exposa son intention de faire appel à sa condamnation dans l'affaire de financement du RPR, selon lui trop sévère.
Pierre Giacometti saisit l'occasion de rappeler le soutien des Français aux juges et à la justice, sur ce type "d'affaires".
Les enquêtes retrouvées dans la Banque des Sondages sont en effet sans équivoque sur le discrédit dont souffre la classe politique en matière d'affaire "politico-financières". 60% des Français ont une bonne opinion des juges dans ce domaine ; 70% soutiennent leur travail : "leur action est plutôt une bonne chose pour la démocratie, puisqu'elle a permis d'assainir la vie politique" (contre 20% qui pense que l'on a "plutôt contribué à discréditer de manière excessive les responsables politiques"). Dans huit cas sur dix, on regrette encore le manque de sévérité dans "les jugements prononcées à l'égard des responsables politiques".
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Interpellé par Eric Dupin sur le risque que le fossé entre dirigeants et dirigés se creuse encore davantage suite aux réactions d'Alain Juppé, Dominique Strauss-Kahn préfère s'interroger sur les commentaires de Jacques Chirac : "La France a besoin d'Alain Juppé", mais il ne voit pas bien "de qu'elle France il s'agit" ; "Alain Juppé est honnête", ce qui sous-tend que "la justice fonctionne mal". Au final, Dominique Strauss-Kahn voit effectivement dans cette affaire une "machine à fabriquer de l'électorat d'extrême-droite".
Vu la couleur politique actuelle des conseils régionaux, la Droite, qui contrôle 14 des 22 régions de la métropole, a certainement plus à perdre qu'à gagner. Pour Pierre Giacometti, l'issu du scrutin dépendra beaucoup de la motivation des électeurs, encore difficile à anticiper. Si la nationalisation de l'enjeu est aujourd'hui plus évidente qu'en 1998, elle l'est moins qu'en 1992. Les électeurs voudront-ils marquer dans l'urne leur soutien ou leur opposition à Jacques Chirac, au gouvernement, à Alain Juppé ? Quel sera l'impact des difficultés économiques et sociales de la France ? Tous ces éléments pèseront dans le choix des électeurs, à des degrés divers selon les régions.
Il rappelle encore le différentiel de participation entre proches de droite et de gauche, aujourd'hui défavorable à la gauche. Tout en regrettant que "la France renoue avec le scrutin censitaire", Eric Dupin nuance ce handicap : "avec un électorat moins populaire depuis quelques années, l'impact du différentiel de participation pour la gauche est peut-être moins important".
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En marge des enquêtes d'intentions de vote, l'évolution de la sympathie partisane donne déjà une indication sur le rapport de force électoral. Aujourd'hui, les Français se déclarant proches d'un parti de droite ou d'extrême-droite sont majoritaires. Le rapport de force électoral de ces dernières années confirme dans l'urne les déclarations faites aux enquêteurs. Pour autant, le changement de mode de scrutin - et l'apparition d'un second tour - complique le jeu.
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Observant l'évolution de la proximité partisane, Eric Dupin constate que sur la durée, la progression du Front National n'est pas spectaculaire. Le FN doit finalement moins sa progression à sa propre capacité de mobilisation qu'à la baisse d'influence de l'UMP, dont le PS ne profite pas. Il met d'ailleurs en garde les candidats socialistes contre une stratégie exclusivement ciblée sur le "vote sanction" : sur ce terrain, les extrêmes, fort d'une contestation plus radicale, peuvent apparaître plus légitimes.
Dominique Strauss-Kahn ne conteste d'ailleurs pas ce point de vue. Il concède que depuis le 21 avril, le PS s'oppose plus qu'il ne propose, et "qu'une telle perception peut favoriser les extrêmes". Pour autant il ne doute pas de la capacité de son parti à se poser en force de proposition. Pour lui, "la séquence électorale 2004 marquera le tournant de législature ; et le PS sera dans la proposition pour la deuxième partie".
Rassurée par l'évolution de la sympathie partisane, il constate que le socle est solide : "malgré une offre politique faible, le PS ne s'est pas écroulé". Pierre Giacometti passe aux mesures d'intentions de vote en constatant que "le terrain d'un éventuel vote contestataire est disponible".
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Comme à l'accoutumer, ces intentions de vote doivent être considérées avec prudence, et surtout pas interprétées comme un pronostic de résultat ; ne serait-ce que parce que la moitié des interviewés se réserve encore le droit de changer d'avis. Les fourchettes autour de l'intention de vote moyenne tiennent compte de cette indécision, et des second choix éventuels.
La vraie nouveauté de cette intention de vote réside dans le score de l'extrême-gauche, mesurée aujourd'hui à 7% (4,3% aux régionales de 1998). On relèvera encore le niveau du Front National, déjà très fort. A la présidentielle, ce n'est qu'en toute fin de campagne que les intentions de vote en faveur du FN ont progressé de façon spectaculaire. Le poids actuel de l'extrême-droite laisse augurer de multiples triangulaire, et donc de deux campagnes très différentes au premier et au second tour.
Eric Dupin anticipe également de nombreuses triangulaires, qui pourraient faire gagner des régions à la gauche, même avec un score faible. "La progression de l'extrême-gauche, et l'émergence d'une Nouvelle UDF, affirmée sur une orientation authentiquement centriste, risquent toutefois de compliquer la stratégie du PS."
Cette analyse n'inquiète pas outre mesure Dominique Strauss-Kahn. Tout en reconnaissant que la poussée de l'extrême gauche est une nouveauté, il rappelle que "cela fait plus de 30 ans qu'un parti à la gauche du PS pèse de 5 à 10%". Et de rester tout aussi serein aussi quant au flanc droit : "les centristes manifestent un mécontentement, mais personne ne doute que l'UDF fasse parti de la majorité. L'UDF ne mord pas beaucoup sur le PS, sauf sur l'Europe". Partant de là, il considère tout de même "essentiel pour le PS de ne pas abandonner le pôle d'ancrage européen".
Les mesures de l'Eurobaromètre montrent une montée du scepticisme en France sur les questions européennes, sans équivalent dans les autres pays. Dans un climat général de morosité économique, le sentiment d'appartenance à l'Union se dégrade partout, mais plus spécifiquement dans l'hexagone. Les Français sont surtout les seuls en Europe à s'opposer franchement à l'élargissement, en particulier dans les milieux populaires et chez les jeunes générations.
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Dominique Strauss-Kahn trouve une explication à ce particularisme Français : "l'effet Chirac".
Pour lui, l'Europe manque de leaders. Il regrette l'aura des couples Schmidt/Giscard, Mitterrand/Kohl, de Jacques Delors. "Comme il n'y a plus de voix en Europe, la question de savoir à quoi cela peut servir redevient légitime". Les préoccupations économiques, dont il note qu'elles n'existent ni en Asie ni aux Etats-Unis, soutiendraient encore la désaffection vis-à-vis de l'Union. "C'est parce que les Français n'ont plus confiance qu'ils sont si réticents à l'élargissement." Il invoque encore une responsabilité globale des leaders politiques, qui entretiennent l'idée de "la faute à l'Europe".
La politique fiscale, un domaine social déstabilisé, voire encore "l'affaire" Juppé, sont autant d'éléments qui participent à la baisse de confiance des Français sur le plan intérieur. A l'international, l'absence d'axe franco-allemand, la politique économique de la France qui l'isole sur la scène européenne, définiraient un "effet Chirac, dramatique pour l'Europe, par tous le bouts."
Lorsque l'on propose aux Français de se positionner à gauche ou à droite, une personne sur quatre préfère se réfugier dans le "ni, ni…" ou la non réponse. Chez les autres, la répartition des réponses par âge montre à quel point le capital électoral de la droite se trouve chez les plus âgés. Le découpage par catégories socioprofessionnelles permet de dégager des soutiens pour la gauche, moins nets. Si les sympathisants de gauche sont en effet majoritaires dans les milieux populaires, cette majorité n'est souvent que relative : sans forcément se déclarer de droite, la majorité des ouvriers, des personnes appartenant aux classes de revenus modestes ou de niveau d'instruction inférieur ne se reconnaissent pas à gauche.
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Si Eric Dupin regrette le manque de diversité de ce socle électoral, en insistant sur sa coloration "classe moyenne", et en notant que c'est dans les catégories de revenus inférieurs que l'on se sent le moins "à gauche", Dominique Strauss-Kahn relativise : "depuis très longtemps, une part importante de l'électorat populaire vote à droite : il y a cinquante ans, les ouvriers étaient majoritaires et la gauche n'était pas au pouvoir." De même il nuance le déficit de soutien des "bas-revenus" en constatant que l'adhésion à gauche augmente avec le niveau d'instruction. Il admet toutefois que ces classes de revenus ont été quelque peu délaissées par la redistribution de la gauche, davantage orientée vers les exclus que les salariés modestes. Au final, c'est surtout le déficit de mobilisation chez les jeunes qui interpelle l'ancien ministre des Finances : "la gauche continue d'attirer intellectuellement les jeunes, mais ne les mobilise plus". Mais il voit d'abord dans ce phénomène "une marge de manœuvre importante".
Pierre Giacometti conclue ce forum en proposant à Dominique Strauss-Kahn la lecture de sa popularité, comparée à celles de Laurent Fabius et de François Hollande. Bénéficiant sur l'ensemble des Français d'autant de jugements favorables que défavorables, il s'en sort en terme de solde un peu mieux que ses camarades. Il souffre en revanche d'un déficit de notoriété plus important (environ le quart des Français ne se prononcent pas sur son action, contre moins de 20% pour François Hollande ou Laurent Fabius). On retrouve ces tendances si l'on ne retient que l'avis des sympathisants socialistes : un solde de popularité légèrement supérieur pour DSK à environ 35 points, avec des taux de "sans opinion" plus importants. Dominique Strauss-Kahn relève surtout que les courbes semblent indexées les unes aux autres. Il y voit une invitation à travailler collectivement… sans trop s'arrêter sur les données d'opinion : "la politique doit déterminer l'opinion, pas le contraire ; il faut avancer les idées auxquelles on croit, et essayer de convaincre ceux à qui on s'adresse".
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