Marketing : l’effet rétro

La mode est au rétro ou au « revival » marketing. Pourquoi les pubs nostalgiques ou les produits vintage rencontrent-ils un écho aussi fort et positif auprès du grand public ? Réponse de Dominique Levy, Directeur Général d’Ipsos Marketing France.

La nostalgie est devenue un facteur marketing puissant. Comment l’expliquer ?

Dominique Levy : En France, on a toujours préféré l’histoire à la géographie. On est très attaché à l’héritage. Qu’il s’agisse de défendre le théâtre de Vilar ou le « french flair » en rugby, d’invoquer l’esprit du Conseil national de la Résistance, de louer les savoir-faire français dans le luxe et la mode, notamment, d’affirmer sa fidélité à un système social protecteur… C’est tout un ensemble de valeurs, de traditions, « d’acquis » et de styles, auquel le pays se réfère. Quand nous nous mettons à baptiser nos enfants comme au siècle dernier Madeleine ou Louis (*), c’est en partie pour « retrouver notre culture d’appartenance et nous réapproprier notre histoire » (2). Autant de sentiments et de faits qui peuvent se retrouver mis dans des expressions marketées au bénéfice de toutes sortes de produits.

Comment ce « rétro marketing » peut-il s’avérer à ce point vendeur ?

D. L. : Parce qu’en pleine période d’incertitude, le passé renvoie le consommateur à des valeurs sûres, à des recettes éprouvées. Le quotidien britannique The Daily Telegraph jugeait récemment que l’opposition à la réforme des retraites marquait « un refus de la fin de l'art de vivre à la française ». La période des Trente Glorieuses en France est perçue comme une ère de progrès et de prospérité. On s’y accroche. On choisit les bons souvenirs. Il y d’ailleurs une chose amusante : nous sommes nostalgiques d’une époque qui avait les yeux braqués sur nous. Dans les années 50-60,on n’arrêtait pas de faire de la science fiction en imaginant ce qui allait se passer en 2000. Le futur était une valeur. Rappelez-vous le modernisme futuriste d’un Courrèges. Il y a un effet de cycle assez étonnant qui veut que nous regardions dans le rétroviseur une société qui elle-même nous rêvait à travers le pare-brise ! A noter également que cela arrive au moment où le marketing s’est constitué un patrimoine. Certaines grandes marques sont riches d’un capital d’histoire et d’image. Elles auraient tort de ne pas l’exploiter.

Ce marketing de la nostalgie est-il typiquement français ?

D. L. : Non, il concerne plusieurs pays comme l’Allemagne, le Japon ou les Etats-Unis. C’est d’ailleurs de là que nous vient le fameux feuilleton « Mad Men » qui nous replonge dans les 60’s, en plein état de grâce de la société de consommation. « Plus qu’une série, Mad Men, c’est un rêve juste avant qu’il ne soit brisé ». Voilà de quoi raviver la flamme de la nostalgie. Des marques comme Mattel et sa fameuse poupée Barbie ou comme Vuitton ne s’y sont pas trompées en reprenant le dress code « Mad Men ». Et l’on assiste sans doute qu’au début du phénomène.

Comment s’exprime concrètement ce « rétro marketing » ?

D. L. : Il peut s’agir d’un packaging vintage, d’un revamping de produit à l’ancienne. C’est, par exemple, Danone qui édite une série limitée de petits pots « Danone Origines » pour célébrer ses 90 ans. On peut aussi cultiver l’esprit « revival » comme Petit Bateau et son immuable marinière ou Adidas qui ressuscite la basket SL72 portée par Starsky dans la célèbre série américaine des années 70. On songe également aux interprétations néo-rétro de voitures mythiques, la technologie moderne en plus. C’est la Mini et la Fiat 500 tandis qu’avec la DS3, c’est plus subtil puisque Citroën tout en signant « anti rétro », rappelle à ceux qui l’on connu un mythe automobile, la DS, la voiture révolutionnaire par excellence. La communication, on le voit, joue un rôle essentiel. Certaines marques comme La Laitière ou Bonne Maman sont ainsi bien connues pour se positionner sur le créneau de l’authentique et jouer d’une image traditionnelle. D’autres usent du ressort nostalgique de façon plus ponctuelle comme Danette récemment.

Ce marketing n’exclut-il pas les jeunes ?

D. L. : Non. On peut tout simplement aimer une époque ou un style. Pas besoin d’avoir 50 ans pour apprécier « Chabada » sur France 3 ou « la Tournée des copains ». « Le Petit Nicolas » parle à tous, surtout depuis qu’il a été modélisé en 3D. L’idée n’est pas de retourner en arrière mais de s’approprier les codes d’une époque et de les remettre au goût du jour. Regardez l’explosion des sites et des blogs de « nostalgeek » ou de « retrogamers » qui reviennent aux sources de l’informatique, des jeux vidéo, du cinéma, etc... La Fnac vient même d’ouvrir un nouvel espace (Fnac it !) dans plusieurs de ses magasins parisiens pour présenter sa sélection de gadgets et produits high-tech au design vintage. D’une manière générale, l’appropriation plus ou moins éphémère d’une marque ou d’un produit ancien dans un effet de mode, c’est quelque chose que l’on connaît et qui n’est pas forcément prémédité. Souvenez-vous du phénomène Cacolac. En ce moment, les vêtements Saint-James ont le vent en poupe. Vous avez aussi des produits parfaitement neufs qui adoptent les codes de l’ancien. Tout cela s’inscrit dans une symbolique qui va rassurer le consommateur. Cela le renvoie à l’idée d’une société mieux bornée, du moins, en apparence. C’est une vision de la société ad vitam qui souligne en creux les changements incessants dans notre monde d’aujourd’hui.

Ce goût du come-back n’a-t-il pas ses limites ?

D. L. : Pas si l’on sait allier la nostalgie aux exigences d'innovation et de créativité également réclamées par le consommateur. Rien n’empêche un mythe de parler du futur. Considérons aussi que nous fabriquons aujourd’hui des choses qui seront considérées demain comme faisant partie d’un passé riant. Le présent nourrit la nostalgie de demain. Il faut d’ailleurs voir que le rythme de recyclage s’accélère. Vous avez déjà des fans des premières générations de téléphones portables. On commence à être nostalgique de l’année dernière même si quelque part, persiste l’idée qu’il a existé un âge d’or.

(1) L’Officiel des prénoms 2011* First Editions
(2) Nicolas Guéguen, « Psychologie des prénoms », Nicolas Guéguen

Ipsos France