Parents à Paris : l''économie du temps

Ipsos / Mairie de Paris - 2ème partie

Vivre à Paris, réalité et aspirations
L'économie du temps
Le Paris des enfants
Le temps des enfants, quelles solutions
Composition des groupes - répartition des entretiens - guide d'animation

L'économie du temps

" Paris est chronophage. " C'est un constat sans appel d'un habitant du 9ème arrondissement.Mais en fait de temps, il serait plus juste de parler des temps, car les Parisiens ont à faire face à un " cahier des charges " des plus chargés, auquel s'ajoute, pour les personnes rencontrées dans le cadre de l'étude, celui des enfants. Comment sont perçus ces différents temps, quelle latitude s'accorde-t-on dans leurs interactions ?

Un système fondé sur des polarités distinctes et interactives

Le temps des parents s'organise autour de polarités à la fois distinctes et interactives : le travail, le foyer, les loisirs, le temps administratif et bien entendu l'école ponctuent ainsi leur journée-type.

" Quand on a des enfants, il faut aller les chercher, il faut faire les courses de façon régulière. Si c'est dans les hypermarchés, il faut aller à la périphérie. Il y a le travail. Les transports en commun ne sont pas ce qu'ils devraient être au niveau qualitatif. Je n'ai pas l'impression d'avoir du temps à moi, sauf un peu le dimanche. " (Groupe 6, 15ème arrondissement, quartier André Citroën).

Il faut y ajouter évidemment la question du transport, qui conditionne en grande partie le temps que l'on va parvenir - ou non - à consacrer aux différents autres postes.

" La liaison, le transport, ça détermine le reste, les courses, les sorties. " (Groupe 6, 15ème arrondissement, quartier André Citroën).

Ce système schématique est dominé par le principe de contingence, pour ne pas dire de contrainte. Il est aussi basé sur la notion de performance : de la capacité à gérer ces différents temps de vie dépend la réussite de la mission quotidienne, y compris lors des périodes de repos théoriques que sont les vacances ou les week-ends. Cette prégnance laisse peu de place aux considérations pédagogiques d'une part, mais surtout complexifie très fortement l'appréciation globale de la qualité de la vie en faisant de chaque journée un terrain propre au stress et à la frustration.

" Mais c'est avoir des enfants qui est difficile à Paris, ça demande une organisation dingue. " (Groupe 2, 9ème arrondissement)." A Paris on a un agenda dans la tête, on s'organise. On ne sait pas faire face à l'ami qui débarque, ça nous gêne. La première réaction qu'on a c'est mince, on avait prévu autre chose. En fait on adore, ça nous relance sur autre chose,. " (Groupe 5, 15ème arrondissement, quartier Procession Quintinie).

Cet état des lieux amène à se poser la question du statut accordé aujourd'hui par les Parisiens aux services offerts par la Municipalité. Indéniablement, les infrastructures liées à l'enfance soulagent les parents dans leur quotidien, mais ce constat fait, les soucis rencontrés en matière de gestion des horaires, pour ne donner que cet exemple, sont en eux-mêmes une source de stress et d'insatisfaction, et au delà d'attentes fortes à l'égard de la Ville.

" La municipalité a prévu de faire quelque chose, je ne sais pas si elle y arrivera ". (Groupe 6, 15ème arrondissement, quartier André Citroën).

La valeur des différents temps

La cohabitation idéale entre les différents temps (professionnels, familiaux, intimes) n'existe pas. Chacun des ces temps est jaugé au travers d'un certain nombre de dimensions. S'agit-il d'un temps compressible ou non, efficace ou non, agréable ou non, valorisant ou non ? Là encore, les arbitrages se font selon une logique qui dépasse immanquablement les bonnes résolutions, et qui transcende la notion de quartier. A ce titre, les Parisiens semblent envisager les choses selon une matrice commune.

  Compressible? Efficace? Agréable? Valorisant?  
Le temps professionnel
Non
Oui
Avis partagés
Avis partagés Le temps de travail sort de fait du débat sur la gestion du temps.
Le temps administratif
Non
Non
Non
Non
Le temps administratif est sans conteste le plus facilement stigmatisé.
Le temps domestique
Non
Oui
Non
Oui
La tenue du foyer permet d'afficher une forme d'unité du foyer. C'est aussi un temps de relation à l'enfant.
Le temps relationnel
Oui
Oui
Oui
Oui
Il est de fait largement phagocyté par les enfants.
Le temps personnel
Oui
Oui
Oui
Oui
Le solde de l'équation.

Le temps professionnel apparaît incompressible. On a peu de prise personnelle sur lui - à l'exception des professions libérales, et les 35 heures, si elles ont légèrement modifié sa réalité, n'ont pas bouleversé le rapport de force. Sur ce chapitre, il est intéressant de noter que l'influence des 35 heures sur le temps de vie est souvent limité, à l'échelle du foyer, par le rythme du conjoint ou des enfants. A la fois incontournable et incompressible, le temps de travail sort de fait du débat sur la gestion du temps. C'est une fois cette soustraction faite que les discours s'organisent autour des temps domestiques, administratifs, relationnels et personnels.

Le temps administratif est sans conteste le plus facilement stigmatisé, accumulant les griefs. L'image d'une administration - qui en fait recouvre plus largement la notion de service au public - est ainsi évaluée durement : incompétences, inorganisation ou au contraire absence de souplesse, mauvaise information font de ce temps administratif un temps appréhendé avec un mélange de fatalisme et de d'irritation. On distingue là une critique récurrente - constatée dans de nombreuses études abordant la problématique du passage de la notion d'" usager " à celle de " client " - de services inégaux dans leur culture de l'usager ou dans leur culture marketing. Il s'agit en quelque sorte de l'archétype du temps " à fond perdu ".

Il se distingue en soi d'un temps " jumeau ", volontiers décrié, mais qui en fait recouvre des perceptions différentes : le temps consacré aux transports. Irritant parce que souvent long, subi, compliqué, le temps de transport laisse toutefois transparaître des qualités. Le bus, s'il est ainsi perçu comme un moyen mal adapté aux exigences d'efficacité et de fluidité de notre époque, est aussi reconnu comme un moyen agréable de profiter de la ville et d'une forme de convivialité, à l'inverse d'un métro jugé froid mais ponctuel. C'est en cela que le public ne considère pas le temps de transport nécessairement comme un temps perdu.

Avec le temps domestique, on commence à pénétrer la sphère privée. On évoquera là l'idée d'un temps où les exigences d'efficacité et d'organisation, inspirées du monde professionnel, trouvent nécessairement cours. Mais c'est aussi, au delà, la nécessité d'un enjeu d'image : la tenue du foyer correspond à l'image d'un soi que l'on projette en situation, et, par ailleurs, il s'agit également d'afficher une forme d'unité du foyer, à la fois palpable et recherchée. C'est enfin, dans le cadre de la relation à l'enfant, la mise en pratique des notions pédagogiques de base, les moins investies intellectuellement mais souvent les plus claires.

Le temps relationnel - famille ou amis - est un don de soi. Parfois vécu comme un substitut au temps personnel, il est de fait largement phagocyté par les enfants, qu'il s'agisse de l'accaparement et de l'exigence de sécurité pour les enfants en bas âge, de la crainte de l'insécurité pour les plus âgés. Plus informel, il est très exigeant en matière d'investissement personnel, sans toujours apporter les satisfactions que l'on imagine. A ce titre, consacrer du temps à l'examen du travail scolaire semble plus vécu par les parents comme une contrainte forte que comme un sommet relationnel…

Enfin le temps personnel - le temps que l'on se consacre à soi-même, apparaît bien fragile. Dans une économie des temps où s'accumulent les durées incompressibles et les pressions extérieures, on constate avec fatalisme qu'il s'agit d'un temps déficitaire (le solde final de l'équation), par ailleurs réinvesti d'un clivage homme/femme en défaveur de cette dernière. Surtout, il est vécu par la plupart selon un mode culpabilisant parce que de fait formalisé comme étant de l'inaction (" je ne fais rien ", " je regarde la télévision "), dans un système qui fait du productivisme et de l'efficacité ses valeurs clés. Dès lors, s'accorder du temps pour soi revient à faire violence au système, à s'imposer à ses exigences et au contexte. Pour autant que soit difficile ce terrain, il semble là qu'il s'agisse d'une " clé " intéressante, car ce temps personnel est aussi vécu, dans cette économie des temps, comme le plus gratifiant. Mais le système fait de ce temps le plus satisfaisant le plus fragile à maintenir, face aux pressions des autres temps de vie.


Fiche technique :

Enquête qualitative sur les modes de vie et les attentes des parents parisiens réalisée pour la Mairie de Paris.